Transition en temps libre

Par Nathalie Tibat

2016

Masami est une artiste japonaise dont l’œuvre est ponctuée de va-et-vient entre les cultures du monde rencontrées lors de ses pérégrinations, car Masami habite le monde entier.

Elle pratique le yoga qu’elle enseigne, dans lequel elle puise des apports théoriques : toutes les forces du corps et de l’esprit sont convoquées de manière permanente dans son travail d’artiste. Elle dit rechercher également à « opérer ou mettre en exergue des corrélations entre l’architecture ancienne, la civilisation moderne, la nature, le paysage et ses œuvres. »

Pour ce travail réalisé lors d’un séjour passé en résidence de création à Caza d’oro, centre international d’art contemporain, elle a été invitée à œuvrer sur le site de l’Abbaye de Combelongue qui possède un jardin labellisé remarquable. Ce fut bien là, pour elle, un défi difficile à relever. Difficile, pourquoi ? À cause du « jardin remarquable » travaillé par le propriétaire de l’abbaye comme une véritable œuvre d’art. En effet le jardin se joue de ses sous-bois, de ses allées, de ses plantations, taillés conceptuellement et de ses alentours aussi, véritables paysages sculptés par le jardinier et paysagiste des lieux.

Dès son arrivée à Caza d’oro, au Mas-d’Azil, en Ariège, Masami a côtoyé l’histoire et la préhistoire, ses grottes, ses dolmens, ses lieux sacrés et cultuels, ses traces de civilisations passées, ses architectures et ses cultures. L’énergie ancestrale y a touché son âme, elle l’a guérie profondément. Elle a touché à la semence de son corps. Elle l’a poussée à voyager dans le temps passé, présent et futur, réalisant ainsi que toutes ces périodes en réalité coexistaient en parallèle dans le présent.

Répondant à ce moment subtil et fort en corps et esprit, elle a donc décidé de créer in situ, une sorte d’architecture composée de fils de lumière. Une œuvre en suspension dans l’espace d’une forêt sauvage, installée en face de l’abbaye et en relation directe avec son jardin remarquable, car cette forêt est lue comme une ligne de perspective depuis les terrasses et le jardin. L’œuvre ainsi créée se situe pour Masami dans la marge étroite entre une période concrète et une autre imaginée, période qui serait alors un passage de transition dans le temps, entre le passé, le présent et le futur. Elle peut être aussi lue comme une sorte de projection transhistorique à plusieurs dimensions. Elle est dans tous les cas ce qu’elle appelle « une architecture de loisirs », dans laquelle les détails concernant la période de création ne sont pas reconnus. Elle glisse formellement dans les deux dimensions qui sont spatiales et temporelles. Elle nous évoque tout ce que l’on désire ou craint comme par exemple : le mortel et l’immortel grâce à sa forme visible et invisible selon la lumière, elle nous parle de présence et d’absence, l’œuvre est un dialogue permanent entre divers matériaux qui sont le fil doré et la lumière du soleil. Les arbres en sont ses piliers, ses lignes d’appui. La forêt en est étrangement habitée et devient un lieu d’exception.

Transition en temps libre, 2016
Installation in situ, fil de cuivre.
700 x 280 x 200 cm.
Exposition collective VELIKI PRASAK,  Museum Grada Splita, Split, Croatie.

L’œuvre installée ainsi dans la forêt sauvage de l’abbaye, mobilise le corps et l’esprit des visiteurs qui sont invités à regarder, à observer, à explorer et à imaginer. Elle convoque l’imaginaire fantastique de la forêt. Elle offre au public une approche synthétique des domaines artistique (œuvre in situ, land art), littéraire ou cinématographique selon ses savoirs et loisirs. Elle fait appel à la mémoire, elle re-convoque l’histoire et/ou la mythologie, les fantasmagories primitivistes, la dimension maléfique de son chaos, une tonalité de conte gothique, elle est le lieu idéal de tous les mystères.

Le rapport que la civilisation occidentale a dès ses origines antiques, entretenu avec la forêt, est construit sur l’opposition, l’affrontement et l’exclusion. C’est un espace soumis à la loi primitive de la nature, obscur et sauvage dont la difficulté d’accès et l’absence d’issue semblent soustraire au régime normal du temps : la cruelle Artémis, le fou Dionysos ou le féroce Odin y règnent. (…)

L’arbre est bien sûr légendaire, mythologique et fantastique.
La forêt constitue un lieu privilégié des contes populaires, puis de l’imagination fantastique. Cette œuvre dite « architecture en temps libre » devient ici un outil de médiation entre l’homme, la nature, la culture et les civilisations diverses réunies à l’heure de la mondialisation questionnée. Elle est également un lien de communication entre les hommes, les éléments et le temps.

De plus, le rose des briques des murs de l’abbaye, identitaire à la région toulousaine et occitane, lui rappellent la terre colorée brute contrastant ainsi avec les formes complexes de l’architecture, l’histoire et la philosophie de l’alchimie (la pratique de la transmutation des métaux en métaux précieux, ou encore la création d’un élixir d’immortalité). Ainsi, les matériaux visibles du site participent également des relations dynamiques interrogées entre l’architecture, le paysage, la lumière, la culture, l’histoire et la spiritualité.

Vous voilà maintenant invités à entrer dans la forêt…


En savoir plus sur l’œuvre dont il est question ici : Transition en temps libre