Diaphanes

1970

« Dans un temps suspendu, coincées dans des corps blessés, sans volonté, recroquevillées ou alanguies, les figures diaphanes semblent attendre, prises au piège de leur solitude intérieure, indifférentes aux bruits du monde.​

Il s’agirait par la peinture de donner à voir le secret de ces corps, de lisser les peaux toujours plus pour apercevoir les couches de chair, de creuser encore plus profond jusqu’à dévoiler l’anatomie, jusqu’aux tréfonds de l’âme aussi. Mais peine perdue, tout n’est que surface, image lisse, sans profondeur autour, des êtres sans chair malgré leurs formes généreuses parfois, vidés de vie, pauvres marionnettes translucides, sans expression ou fatiguées de lutter. Les figures centrales semblent prises au piège des décors vides aux grands aplats colorés venant rompre et accentuer encore la transparence des corps, jusqu’au blanc sur blanc d’un bel ange endormi.​

Les postures, les regards vides ou les yeux fermés, les robes légères ou colorées, cette peau souffrante, meurtrie, ces corps pourtant désirables à l’âme inaccessible comme des images de magazines, touchent la grande fragilité, d’un ennui ou d’un chagrin infinis. Le flottement, l’ambiance aquatique des premières vidéos, reviennent aussi dans le traitement pictural. Deux toiles sont aux extrêmes, deux autoportraits qui inscrivent l’artiste dans cette galerie de portraits. L’un est inspiré de Francis Bacon ; la figure centrale nous fixe, repliée et apeurée. L’autre est une torera morte qui semble dormir au centre de l’arène, la muleta est le tablier du peintre, abandonné sur le sable. Cette oeuvre s’inspire de l’Homme mort d’Edouard Manet. Au fil des toiles, on hésite souvent entre flotter ou tomber…​

“ Les personnages sont bien vivants “, se défend Pascale Simont, “ je laisse remonter à la surface ce qui vibre sous la peau. Théâtralisée par la lumière, celle-ci devient une membrane fragile où l’intérieur et l’extérieur tentent une unité poétique. C’est justement de cette confrontation que l’émotion peut surgir, irritante et déroutante, la vibration de la peau lutte avec la tranquillité de la posture. ” Trop de lumière les tuerait-ils ?​

Entre les solitudes sombres et dures de Djamel Tatah et les carnations blessées des cadavres de Marlène Dumas, ces belles images sur papier glacé, lisses et pales, souffrent et se noient comme des Ophélie contemporaines ou de Belles endormies exsangues. Les fonds colorés échouent à donner la gaieté espérée ; plus le bleu se fait dense et profond, plus la figure devient pale, évanescente, plus elle semble s’évanouir, disparaitre jusqu’à l’effacement, victime du temps ou du désoeuvrement. Le nombre des toiles nous questionne sur cet univers en suspens, dont la légèreté apparente tourne parfois au drame. »​