Stefan Barniche

UP. 22.09.2025

KABANE SONORE

Habiter ce monde

KABANE SONORE #002, 2020
Installation, bois, objets divers, photographies, dessins, dimensions variables.

Photographies © Léa Argelliès


KABANE SONORE #001, 2019
Installation, bois, objets divers, photographies, dessins, dimensions variables.

Modules de la KABANE SONORE


Croquis et cartes mentales exposées sur la KABANE SONORE


Documents de recherche et notes


« La notion de bricolage, dans le sens « assembler des éléments disparates afin de créer quelque chose de nouveau », est très présente dans ton travail, notamment dans tes vidéos, tes sons ou tes installations par exemple, peux-tu nous en dire plus ?

Stefan Barniche
Formellement, c’était complètement revendiqué : tendre la main au public, au regardeur, pour dire que mon langage serait celui du bricolage, du rafistolage. En Inde, ils appellent ça le juggad, c’est-à-dire être frugal, trouver des solutions avec peu. C’est proche de la sérendipité. A priori c’est une notion qu’on connaît, mais le juggad a une dimension particulière.

Cette esthétique du bricolage, c’est ce qui a guidé ma résidence pour KABANE SONORE au tout début. Dans ce cadre, j’ai travaillé par modules : au lieu de me dire « je fais une sculpture », c’était « je fais une sculpture qui va devenir un abri où j’ai envie de produire du son ». Mais je n’étais pas en résidence sonore à proprement parler, je ne savais pas où j’allais — arts visuels, son ? Alors je me suis fabriqué un abri sur roulettes, pour pouvoir aller partout. Et en allant partout, l’idée est venue : faire une radio. J’étais dans les prémices de Radio Terla. Au début, le projet évoquait une radio pirate ou radio amateur : je racontais n’importe quoi, personne ne comprenait, moi non plus. L’idée était de baragouiner quelque chose de pré-apocalyptique. Je sens que quelque chose est en train de changer, ce monde est en train de s’écrouler, donc je me construis rapidement un abri, avec les archives du monde que j’ai pu sauver.

D’un point de vue psychanalytique, je relie cette poétique du bricolage à deux notions : le jeu et l’enfance. Un livre m’a particulièrement marqué et continue de m’influencer : Jeu et Réalité de Donald Winnicott. Le bricolage — c’est-à-dire, dans mon travail, l’activité artistique — est avant tout un jeu. Selon Winnicott, jouer permet à l’enfant, et par extension à l’artiste, d’exprimer sa créativité tout en faisant l’expérience de la réalité. Il considère le jeu comme un espace transitionnel entre le dedans et le dehors, entre le moi et le non-moi, entre la réalité psychique interne et la réalité extérieure.
Pour moi, dans Radio Terla, la radio est ce lien que je tente de tisser avec le public. Il y avait aussi le plaisir d’avoir le public autour, de balancer un son, peu importe que les gens comprennent ou non, ça n’avait pas d’importance. 

Oui, il y a vraiment une poétique, une esthétique du bricolage. Par exemple, pour KABANE SONORE, on retrouve le bricolage à plusieurs niveaux, que ce soit dans l’installation mais aussi dans le fait que les médiums soient bricolés entre eux, dans le fait que le texte soit lui aussi bricolé, qu’on ne comprenne pas tout. Tu parles d’ailleurs plutôt d’esthétique ou de poétique ?

Je peux utiliser les deux termes. Au départ, même si j’assumais pleinement l’aspect bricolage dans mon travail, je ne voulais pas qu’il soit immédiatement perçu comme tel, car je le considérais alors comme une limite. Mais le bricolage évoque également pour moi la notion de jeu, d’où les petits modules dans KABANE SONORE. On se prend au jeu, on assemble des éléments disparates comme des Legos, des crânes de cabris… on fabrique des histoires.

Le crâne de cabris, par analogie, renvoie à Ulysse, d’Agnès Varda. Je découvre ce court-métrage en 1999 dans le cadre de mes études de cinéma. Tout part d’une photographie qui représente une plage de galets, avec un homme nu, un cabri mort et un enfant. Varda explore le mécanisme de l’imaginaire en reconstituant les souvenirs à partir d’une photo, avec son commentaire en voix off.

Plus de trente ans plus tard, j’arrive à la Cité des Arts de La Réunion, j’y retrouve la plage de galets ainsi qu’un crâne de cabri et j’entends la voix off d’Agnès Varda qui résonne en moi. Cela fait écho et provoque des réminiscences. Comment bricole-t-on le réel avec notre imaginaire ? Où commencent et où s’arrêtent nos souvenirs, nos archives du monde ? Quels vases communicants entre cette photographie de plage d’Agnès Varda et la plage de galet du front de mer de la Cité des Arts ?

Dans Ulysse, deux enfants commentent la photo et l’une d’elle demande « C’est bizarre, pourquoi lorsqu’on meurt on a les yeux ouverts ? » et l’autre lui répond : « Parce-que quand on meurt, on a les yeux ouverts ». C’est magnifique, ça me donne des frissons. Revenir à des petites choses flamboyantes et lumineuses comme ça, par le biais du bricolage, des associations et des analogies, ça me convient parfaitement.

C’est dans cet esprit de fragments de mémoire bricolant ou réinterprétant le réel que j’ai imaginé les modules pour KABANE SONORE. Par module j’entends un ensemble de petits objets que le public pouvait manipuler et avec lesquels il pouvait imaginer une histoire : module livres, module jeu de Lego, module disques durs, module diorama… (…) »

Extrait d’entretien avec Stefan Barniche, par Céline Bonniol et Mathilde Rousselie
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