Ce que le ciel emprunte à la terre
Ce que le ciel emprunte à la terre, 2020-2023
Corpus Déployer ses ailes au-delà du ciel
Crayons, pigment naturel, collage, broderie, squelettes de feuilles.
50 x 65 cm non encadrés.
« Les squelettes de feuille sont obtenus par un processus naturel, patience et collecte. Les dessins sont réalisés en association avec les nombreuses feuilles tombées des arbres du jardin de ma maison, de la forêt de Dioré à Saint-André, de la forêt de Mare Longue à Saint-Philippe et de la Plaine-des-Palmistes. Elles ont été raffinées par les escargots et les insectes qui habitent ces espaces, encouragés par la pluie et le vent. »
Tatiana Patchama, 2021.
Ce que le ciel emprunte à la terre
Détails
« La série de dessins Ce que le ciel emprunte à la terre s’inscrit dans un corpus d’œuvres intitulé Déployer ses ailes au-delà du ciel. À travers ce regroupement d’œuvres, je m’interroge sur les différents types de liens que les oiseaux tissent avec leur territoire et les formes qu’ils peuvent prendre. Je souhaite étendre cette réflexion à l’Homme, en imaginant comment le territoire où nous vivons nous habite et s’inscrit dans l’architecture de notre corps, et quels liens tissent les humains avec l’ensemble des êtres vivants.
Ce que le ciel emprunte à la terre raconte donc ce lien que je perçois entre les arbres et les oiseaux. Je fais le parallèle entre la forme des feuilles et celle des plumes. Dans la réalisation de ces dessins, je remplace les plumes par les squelettes de feuilles d’arbres que je collecte au sol dans les jardins ou dans les forêts de l’île. Ma recherche trouve une partie de son inspiration dans le livre Habiter en oiseau de Vinciane Despret. La philosophe évoque l’idée que les oiseaux n’habitent pas le territoire comme s’il était le leur (propriété privée), mais en tant que prolongement du soi. Cette idée a nourri mon imaginaire, et mes dessins tentent de rappeler que les oiseaux et les arbres partagent une architecture commune, s’habitent mutuellement et sont le prolongement les uns des autres. Et j’ai envie de croire que c’est aussi le cas pour nous, les humains.
En général, je représente des oiseaux que je perçois dans mon espace de vie proche, tels que l’oiseau Bellier et le Cardinal. Cependant, certains oiseaux sont des espèces endémiques et/ou indigènes de La Réunion. Le Tec-tec et l’Oiseau la Vierge sont deux oiseaux forestiers, ils ont coévolué avec leur espace de vie. La Perruche verte est une espèce éteinte (un projet de réintroduction est en cours à La Réunion). Sa représentation est imprégnée d’une part d’imaginaire. Le choix des oiseaux représentés dépend du lien qu’ils entretiennent avec leur territoire. C’est la raison pour laquelle j’utilise des feuilles prélevées en forêt pour représenter leurs ailes. Je transforme dans mon atelier les squelettes de ces feuilles grâce à un système inspiré du processus de décomposition naturelle.
Notre relation au temps en tant qu’être humain est aussi un élément important dans mon travail, et mes œuvres s’inscrivent dans un processus qui peut sembler lent car je suis dépendante du rythme du vivant. Je tente de donner un rythme naturel à mon processus de création, en accord avec le temps qu’il faut au vivant pour fabriquer la matière dont j’ai besoin. Je travaille à partir d’éléments que l’on rangerait dans la catégorie des déchets et j’essaie de les modeler, afin de nous rappeler qu’il y a certainement, au départ de toute chose, une matière commune à tous les êtres vivants.
J’explore également notre perception de la mort : j’utilise de plus en plus des feuilles mortes ou des squelettes de feuilles pour aborder cette question du temps qui passe et rappeler notre part de fragilité. Il me semble que cette matière qui compose les vivants après la mort ne disparaît pas, elle change juste de forme, de nom, de fonction, d’assemblage, mais elle nous permettra, après de multiples étapes de transformation, d’exister autrement et de participer différemment au cycle de vie.
Mes œuvres sont en grande majorité des installations qui entrent en écho avec les espaces dans lesquels je les installe. Avant d’imaginer une œuvre, je commence souvent par créer un jardin dans lequel je repère les problématiques que je développerai par la suite. Ainsi, mes dessins d’oiseaux sont dans le prolongement de l’un de mes premiers jardins. Un jardin que j’avais voulu domestiquer, mais très vite les oiseaux, les escargots, les insectes m’ont rappelé qu’il valait mieux entrer en dialogue avec eux plutôt qu’en confrontation. Je me suis alors rendu compte que le jardin est un être vivant qui se déploie à travers les êtres qui l’habitent ou le traversent. »
Tatiana Patchama, 2024.
EXPOSITION MUTUAL CORE
Extrait du catalogue d’exposition Mutual Core, FRAC Réunion, 2021.
La branche du vivant
« Je crois que l’eau, les pierres,
Les plantes, les animaux
Ne sont pas des ressources.
Ils existent pour eux même !
Leur reconnaitre une fonction,
Serait les réduire à l’usage
Que je pourrais en faire.
Je les préserverai peut-être
Pour assurer ma subsistance.
Je ne saurai peut-être,
Plus les aimer, sans rien attendre en retour.
Je crois que l’univers est fait de particules,
Que chaque être vivant est un assemblage de détails.
Nous sommes une part de l’autre,
Une infime part du monde.
Nous sommes à l’image de la feuille et de l’arbre ;
Complémentaire et unique dans notre façon d’exister.
Nous ne vivons pas dans la même temporalité.
Lorsqu’une feuille tombe de la branche,
L’arbre ne meurt pas !
La feuille, que l’on définit morte,
Change de forme, de couleurs, de nom.
Elle poursuit son existence.
Je crois que tout est vivant,
Que parfois nous n’avons ni la posture,
Ni les outils pour les admirer.
Avec le temps, pour les reconsidérer,
Nous pourrions inventer
Ces mots qui semblent manquer. »
Tatiana Patchama