Leïla Payet

Par Leïla Quillacq

2020

« Si tu veux parler de l’universel, parle de ton village. »

Leïla Payet est artiste-chercheuse. Elle s’intéresse à l’identité du territoire de son île d’origine. Portée par une conviction qui motive sa recherche, celle de concevoir le monde par le prisme de « là d’où l’on vient1  », elle démantèle ce qui se trame physiquement pour aborder ce qui se joue psychiquement dans nos rapports à celui-ci.

Partant d’études et de questionnements sur les « processus de créolisation », intrinsèquement liés à ceux de colonisation et de décolonisation, elle pose les bases d’un atlas de recherches. Celui-ci intègre des espaces d’échanges et produit au fur et à mesure une réserve d’images, de données, de références et de matériaux en expansion, à partir de laquelle naissent des pièces faisant écho à la notion d’« état liquide » définie par Deleuze2 .

« La situation géographique et historique de l’île a d’abord fait d’elle un territoire physique façonné par la mer. » Migrations, fuites, exils, habitats, replis et adaptations sont autant de mouvements, de passages, de vagues définissant un état de changement continu. L’artiste cherche ainsi à matérialiser ce mouvement dans des œuvres ouvertes et non figées, aux formes émergentes et à l’esthétique protéiforme.

Des œuvres conçues comme des productions embryonnaires, des glissements opérés à partir d’un langage primaire et qui s’élaborent, pour reprendre ses mots, comme « des ritournelles, des émissions graphiques, des jets de la pensée, exprimant des pulsions de vie ou de mort » – celles ayant trait à une idée, une culture, une identité.

Apparaissent ainsi des corpus qui explorent pour chacun les porosités entre différents médiums et qui – par les procédés du collage, de la répétition, de la citation et des libres associations – pointent les problématiques de fabrication d’une pensée, d’un discours, d’une image.

Parmi eux, No statues/No statut, projet en différents actes porté en collaboration avec la chercheuse en histoire de l’art contemporain Diana Madeleine, engage une réflexion sur ce qu’est une œuvre, comment se définit « la culture » et quelles sont les modalités d’existence périphérique de ce que l’on nomme art « primitif » ou « exotique » dans une pensée globalisée.

No statues/No statut - Épisode 1 (partie 1), 2019
Capture d’écran. Court-métrage coréalisé avec Diana Madeleine, 3 min 49 s.
Tapis mendiant, 2014-2020
Corpus de citations vidéo.

Tapis mendiant se présente quant à lui comme un mille-feuille d’archives et de citations qui se rencontrent, s’entrecroisent, se fondent et se répondent, mettant en réflexion les considérations autour de l’art « nègre », le « continent originel », les « métissages », l’histoire de l’art rituel ou de l’urbanisme colonial.

Faisant un certain Éloge de la fuite3 – ou comment s’échapper du poids de l’histoire et de ses déterminismes en revenant aux Territoires sensibles4 , politiques et psychiques du paysage – elle construit des Vaisseaux Noirs5 , véhicules de paroles comme autant de matières premières pour réaliser ces traversées.

Leïla Payet construit ainsi une œuvre globale en va-et-vient, s’attachant à la perméabilité des idées qui y circulent et à la non-hiérarchisation du vocabulaire plastique qui la compose, entre art majeur et art mineur, bon et mauvais goût, image artistique, technique, médiatique et vernaculaire.

Une œuvre en construction, qui interroge nos « formes de voir » et porte en creux une lutte pour la réhabilitation d’histoires, de langages et de territoires invisibilisés, contorsionnés, dépossédés.

  1. Léon Tolstoï.
  2. Gilles Deleuze, « Sur le cinéma, l’image-mouvement et l’image-temps », enregistrements audio des cours donnés par Gilles Deleuze à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, entre 1981 et 1982.
  3. Pour reprendre le titre d’un essai de Henri Laborit, publié en 1976.
  4. Titre d’un corpus de recherches menées par l’artiste : « Je tente de matérialiser un vocabulaire esthétique qui réponde à trois grands axes », à savoir : LALANGUE (les mots, la parole en langue créole, ce qui est dit et non dit), LAMAILLAGE (le mix, le mélange de codes culturels et spirituels à d’autres codes laïcs) et ZESPAS (qui est une tentative de découpage d’un territoire clos et évolutif).
  5. Proposition curatoriale réalisée par l’artiste en collaboration avec Mondes du Cinéma et Le Mètre Carré.