L'île, l'hybride et le laboratoire - Une approche clinique de l'art

Par Clotilde Provansal
Extrait de Image et savoir, interrogations transversales
Sous la direction de Christian Germanaz, Vilasnee Tampoe-Hautin et Florence Pellegry
Presses Universitaires Indiaocéaniques

2019

Voir, Regarder, Observer : l’étau de l’œil se resserre, opère un zoom inquisiteur. Peut-être est-ce là précisément que l’art et la science se rejoignent, dans cet acte d’ajustement de la focale, dans ce regard clinique, regard de la sensibilité concrète, qui se pose et embrasse tout : subjectivité, cognition, symbiose, communication, schémas culturels et interaction avec l’environnement. Cet article propose une réflexion sur les rapports qu’entretient l’art avec le savoir à travers l’exploration de trois pièces emblématiques d’une recherche artistique sur l’hybridité menée à l’île de La Réunion. Il s’agit de voir en quoi les savoirs peuvent être convoqués dans la conception ou la fabrication d’une œuvre, mais également comment l’art, via des protocoles et des mises en situations, peut à son tour générer de la connaissance.
Dans cette approche entre art et science, nous verrons comment se crée aujourd’hui un laboratoire d’artiste et ce qu’il implique dans la manière de redéfinir l’œuvre elle-même : partici­pation du spectateur, collaboration institutionnelle, diversité des médiums, matérialité, partage du sensible …

L’île créole, l’œil et le « chaos-monde »

L’île tropicale génère un pouvoir attractif sur les voyageurs du présent comme du passé. Paradis terrestre à l’époque médié­vale, prétexte à la critique sociale, à l’expérience institutionnelle (utopie) au XVIIIe siècle, l’île qu’elle soit déserte ou non, fascine par son ambiguïté. En effet, elle est tout à la fois ouverture et fermeture, paradis et enfer, symbole de liberté et prison. Image d’un monde préservé, merveilleux, utérin, lieu de tous les possibles, elle suscite également la convoitise en devenant un espace à prendre, à exploiter et à contrôler.
L’île des romans d’aventure et de science-fiction révèle son lot de fantasmes et de peurs à ce sujet. L’île perdue renferme cet ailleurs que l’on rejoint pour parcourir un voyage initiatique. Dans ces fictions, traverser l’île et rencontrer ses habitants permet de mettre en exergue la part sombre de l’humanité (déni, orgueil, cruauté, démesure). L’île dans ses replis géographiques, ses entre­lacs sociologiques et ses interactions culturelles révèle cet hubris et appelle à l’introspection par le renoncement de ses a priori et de ses certitudes, par la rencontre de l’autre et l’acceptation de sa culture et de ses différences.
L’écrivain et poète martiniquais Édouard Glissant nous éclaire sur ce que les îles créoles apportent à la pensée contem­poraine, face aux dérives de ce qu’il nomme le chaos-monde :

« Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civili­sations s’entrecroisent, des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, où ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde. On ne peut pas diriger le moment d’avant, pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre le chaos-monde. Même la science classique a échoué à penser l’instabilité fonda­mentale des univers physiques et biologiques, encore moins du monde économique, comme l’a montré le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles » (Glissant, 2011).

Les pensées insulaires remettent en question l’immuabilité des savoirs et la rigidité des systèmes. Ces pensées du tremblement s’activent dans les interrelations. Dans la démarche artistique qui est ici présentée, l’expérience de la relation s’opère via des moda­lités empruntées aux champs des sciences humaines : collabo­ration, entretien, modélisation de liens sociaux ou construction d’outils de communication. L’enjeu ne consiste pas à comprendre ces relations, les contextualiser ou les orienter moralement mais à proposer une interprétation subjective, libre et désintéressée, une retranscription formelle de la société traversée. Cette recherche de forme tend à œuvrer dans le champ disciplinaire de l’art mais également dans celui de l’histoire de la pensée humaine et de la constitution des savoirs.
Le regard de l’artiste participe à la détermination de l’œuvre d’art au même titre que celui du spectateur, du voyeur, de l’expert, du curieux qui observe à travers le trou de la serrure. « C’est le regardeur qui fait l’œuvre » nous dit Marcel Duchamp (1965). Aujourd’hui, les regardeurs sont de plus en plus sollicités au sein même des dispositifs d’élaboration des œuvres. Car chaque regard possède sa sensibilité propre et se trouve connecté à des savoirs et des savoir-faire. En croisant ces regards, en favorisant des ren­contres interdisciplinaires, il s’agit de concevoir et d’élaborer des œuvres polyfocales qui dépassent le cadre de leur perception et incluent des dimensions insoupçonnées, insolites.
Ainsi, dans la vidéo Ablation tropicale, l’esthétique de la scène emprunte au vocabulaire médical son regard clinique. Elle déroule une intervention chirurgicale en temps réel dont le sujet est un fruit tropical, un letchi. Un plan fixe est cadré sur le fruit. Le visage et le corps du chirurgien ne sont visibles à aucun moment. L’opération a lieu sur une table lumineuse blanche qui crée un vide, suspend le regard et le focalise sur l’acte. Les mains gantées de caoutchouc blanc, manipulent divers instruments de chirurgie (pince, scalpel, aiguille, fil). L’intervention consiste à prélever le noyau et à le remplacer par une bille de métal. La tension est palpable. Les gestes sont lents, précis, méthodiques.

Ablation tropicale, 2015
Image extraite du film. Vidéo, 3 min 56 s.

Ablation tropicale pose la question du regard en art et de son rapport au sujet traité. Le letchi « opéré » fait penser à un œil manipulé par les mains du chirurgien. L’œil et la main ainsi reliés renvoient aux travaux de Paul Valéry (1973) et à sa volonté de réintroduire le corps dans la pensée créatrice. Dans son discours aux chirurgiens, Valéry met en évidence la relation entre faire et savoir : « Le nom même de votre profession, Messieurs, met ce faire en évidence, car Faire est le propre de la main. La vôtre, experte en coupes et en sutures, n’est pas moins habile et instruite à lire, de la pulpe de sa paume et de ses doigts, les textes tégumentaires, qui vous deviennent transparents ; ou, retirée des cavités qu’elle a explorées, elle peut dessiner ce qu’elle a touché ou palpé dans son excursion ténébreuse / Chirurgie, manuopera, manœuvre, œuvre de main ».
La main selon Valéry est « l’organe capital du possible ». Elle permet en étant connectée à la vision de développer une perception sensible.
« Comment s’allient la main et le complexe visuel-moteur de l’œil ? L’œil-tact? […] quand je dis la Main, il faut penser à un système articulé mais muni de forces et de relais, d’indépendance et de dépendance. En somme, sensibilité et acte réciproquement liés ». Dans sa Logique de la sensation (2002), Gilles Deleuze développe cette réflexion en ana­lysant la peinture de Francis Bacon :

« On parlera d’haptique […] quand la vue elle-même découvrira en soi une fonction de toucher qui lui est propre et n’appartient qu’à elle, distincte de sa fonction optique. »

Le regard sensoriel exclut toute idée de jugement ou de sélection de l’information. Il couvre et touche ce qui lui est donné à voir. En ce sens, il se rapproche du regard clinique tel que Michel Foucault le définit dans Naissance de la clinique : « celui de la sensi­bilité concrète, un regard qui va de corps en corps, et dont tout le trajet se situe dans l’espace de la manifestation sensible. » Il ajoute « Toute vérité pour la clinique est vérité sensible » (Foucault, 1963). Où se situe la vérité sensible en art ?

Une réponse, au travers de la vidéo présentée, pourrait résider dans l’affirmation des paradoxes. Ainsi, dans le titre même de l’œuvre Ablation tropicale, les contours de l’action sont claire­ment définis (une ablation se rapporte à l’extraction d’un organe) tandis que l’adjectif« tropicale» se réfère à une zone géographique ou climatique floue, teintée d’imaginaire exotique. Que retire-t-on de cette chair? Un noyau ou un concept? Par ailleurs, cette opé­ration semble paradoxalement grave (lumière aseptisée, lenteur, actes quasiment assimilés à ceux d’un rituel) et absurde (banalité du fruit, absence d’enjeu vital). La représentation acéphale du chirurgien nous questionne sur le sens de l’opération, sa signifi­cation. « L’art est un dépassement des écueils instrumentalistes de la technique » nous rappelle Georges Bataille.
En convoquant les savoirs chirurgicaux dans leur forme et leur mise en œuvre et non dans leur finalité, cette vidéo nous alerte sur l’intégrité du vivant, la mémoire d’un tout, chair et noyau, contenants / contenus. L’art et sa vérité se jouent de la mesure, mesure des mots, dé-mesure, hubris.

Art et « Non-savoir » : une poétique du sacrifice

Minotaure est un projet qui convoque la notion d’hybridité dans sa représentation formelle, son processus de mise en œuvre et sa sémantique. Ce projet a été conçu et réalisé en collaboration avec le taxidermiste du museum, Salim Issac lors d’une résidence au Museum d’Histoire Naturelle de La Réunion en 2015. La pièce présente un buste d’homme surmonté d’une tête de taureau. Elle a recours à la technique de la taxidermie (sculpture en polystyrène et mousse polyuréthane recou­verte de peau de taureau, yeux de verre, cornes naturelles). Elle est présentée selon les codes signalétiques des espèces animales dans les museums d’histoire naturelle : sur un socle en bois, protégée dans une cage de verre et désignée selon son référencement d’espèce Minotaure.
Deux éléments singularisent la pièce : d’une part, le choix d’une posture en buste qui se distingue de la tradition naturaliste en pied ou en trophée. Cette posture humaniste que l’on retrouve dans la statuaire grecque antique vise à marquer une certaine proximité entre le public et la personne représentée. D’autre part, des clous apparents sont plantés sur le torse. Supposés fixer la peau pendant la durée du séchage, ils sont ici volontairement conservés. Le réalisme de l’installation, sa taille imposante (2,5 m de haut) et la manière dont elle est montrée (présentée dans un lieu de science) nous placent devant une évidence qui nous trouble. La créature a-t-elle vraiment existé ? Existe-t-elle encore quelque part ? Est-elle réelle ?

Minotaure, 2015
Sculpture, taxidermie (peau et cornes de taureau, clous, polystyrène, mousse polyuréthane), socle en bois et vitrine, 111 x 221 x 78 cm.

Cette question du réel déjà à l’époque moderne, intrigue les artistes du mouvement surréaliste qui voient à travers la figure symbolique du Minotaure une manière de convoquer la psychanalyse et de faire retour sur un savoir archaïque, pulsionnel pour se dégager des enseignements de la raison. Les éditeurs Albert Skira et Tériade lui consacrent une revue de 1933 à 1939 à Paris qui porte son nom (Minotaure). Cette revue développe une appro­che à la fois ethnographique, archéologique et psychanalytique et s’inscrit dans une modernité artistique qui cherche à ébranler un certain ordre. En réaction face à la guerre, elle vise à interpréter la part d’animalité et d’irrationnel inhérente à l’homme, ce que Georges Bataille (1970) va qualifier d’hétérogène.
Selon Juliette Feyel (2018), Bataille envisage une connais­sance paradoxale, un « non-savoir » qui se donne pour but d’ex­plorer la différence non explicable. Cela suppose qu’on puisse avoir accès à une matière antérieure à la réduction intellectuelle. Ce « non-savoir », nous dit-elle, « s’apparente à la connaissance des mystiques primitives ou à la fulgurance de l’intuition artistique ; non pas connaissance de la maîtrise par le concept mais perte souveraine de soi dans la jouissance qui résulte du contact avec l’Autre. Comme il ne s’agit pas d’une science, l’œuvre de Bataille se présente comme une pratique de l’hétérologie : une poétique du sacrifice ».
Dans la pièce qui nous concerne, le Minotaure, hybride sacré, surgit dans une île dont les racines culturelles s’étendent au­ delà des océans et convergent vers des rituels anciens : Minotaure, homme-taureau, mi-dieu, mi-créature terrestre, vecteur d’un mes­sage entre la terre et le ciel, entre la vie et la mort. Les clous plantés dans sa peau lors du processus de taxidermie semblent aller de soi. Métalliques, ils s’imposent et résonnent à travers le temps. Destructeurs, ils rappellent les clous présents sur les féti­ches d’Afrique de l’ouest. Rédempteurs, ils évoquent les aiguilles que les pénitents se piquent dans la peau en signe de mortification lors de la cérémonie tamoule du Kavadi. Figure incarnée du sacrifice, il nous regarde et attend - tel l’Astérion de Borgès (1977) - impavide et en silence, son rédempteur.
Ses cicatrices et scarifications nous interpellent : ces traces sont-elles celles d’un long combat aujourd’hui révolu ou les preuves d’un assemblage contre-nature ? Car cet hybride composé de matériaux artificiels et naturels revêt bien l’apparence d’un monstre terrifiant à l’image du Frankenstein de Mary Shelley (1818). C’est qu’ici, l’ambiguïté demeure : le Minotaure est-il humain ? A-t-il vécu ? Vit-il encore ?
Science et fiction s’entremêlent dans ce mythe qui se revisite continuellement selon les époques. Car aujourd’hui, les chimères ne sont plus une fable. Objet de manipulations géné­tiques dans les sciences du vivant, les hybrides fascinent certains artistes qui y voient les figures incarnées du paradoxe nature/technologie : Joan Fontcuberta (Fauna, 1985-89), Eduardo Kac (Alba, 2000), Thomas Grùnfeld (Misfit, 2000), le collectif Art Orienté Objet (May the Horse Live in me, 2011). Ils nous alertent sur les dérives possibles de l’exploitation animale à travers des œuvres qui mettent la question du vivant au cœur de la condition humaine : « Le bio art ne crée pas simplement de nouveaux objets, il crée de nouveaux sujets » (Britton et Collins 2003).

Art relationnel et pensée dialogique : le Laboratoire des Hybrides

La résidence qui s’est déroulée au Museum d’Histoire Naturelle de La Réunion a permis d’établir une rencontre avec le taxidermiste et l’entomologiste, d’échanger des informations non directement liées à l’art et de les transposer par analogie dans un univers artistique. L’observation du comportement animal des insectes a ainsi inspiré une pièce intitulée Where are you going Mr Rabbit ?, tandis que Ophélia ironise sur la difficile fusion de l’humain avec son environnement en établissant un parallèle avec les pestes végétales qui envahissent les bassins de La Réunion.
Toute connaissance peut se projeter dans un espace mental artistique, un univers créatif. Cependant, il existe une différence entre savoirs transmis et savoirs acquis. Les savoirs acquis (documents, images, données stockées) sont identifiables et trans­posables « en tant que tels » dans un dispositif artistique.
Dans la relation, les savoirs transmis font écho à des perceptions, des interprétations, à l’expérience vécue. L’intuition créative repose ainsi sur des coïncidences, correspondances, analogies. Il n’est plus seulement question d’invoquer le hasard mais d’associer divers schémas de représentation de la pensée pour générer des formes nouvelles, des formes hybrides. Toute rencontre devient ainsi propice à la création d’œuvres. La question de l’hybridité intervient directement dans le processus de concep­tion de l’œuvre. L’enjeu consiste alors à diversifier le plus possible ces rencontres pour élargir le champ de créations possibles. En créant un cadre expérimental de recherche, un laboratoire virtuel, il s’agit de définir des protocoles d’action et des mises en situa­tions gui génèrent des œuvres hybrides. Ce Laboratoire des Hybrides voit le jour en 2016, lors d’une résidence à la Cité des Arts de La Réunion. Une première problématique est lancée : comment définir la notion d’hybridité ?
Pour y répondre, un protocole performatif est mis en place. Il s’agit de générer de la connaissance à partir de points de vue distincts et de créer une forme relationnelle et poétique gui incarne toute l’étendue des réponses. Ce dispositif repose sur l’idée que « l’art est un état de rencontre » (Bourriaud 1998). Il s’inspire du travail de l’artiste Thomas Hirschorn, Flamme Éternelle au Palais de Tokyo en 2014. Dans son dispositif d’exposition performative, Thomas Hirschorn développe un espace public « à l’usage de tous ». Il invite le public à le rencontrer et lui propose de produire des œuvres avec des matériaux universaux, éphémères et non exclusifs : pneus, scotch, carton, polystyrène, etc.
La performance Hybridité, la construction d’un objet1 consiste à créer une situation de rencontres en élaborant un objet, une carte mentale sur le mur de l’atelier avec les personnes présentes dans la salle. Le dispositif est paramétré dans le temps et dans l’espace : il prendra forme lors de l’évènement « Cité by Night », le 1er octobre 2016 à la Cité des Arts de La Réunion et s’étalera de l’ouverture à la fermeture des bâtiments.

Afin de préparer ce dispositif, un premier temps de recherche est mené sur les enjeux de l’hybridité à La Réunion dans les arts visuels. Il prend source dans des disciplines variées : documents, images, thèses (Molinet 2016), articles, supports audiovisuels. À l’issue de cette recherche, cinq thèmes émergent : Corps/identité, Figure politique, Biologie, Remix/Technologies, Créolité. Chaque thème comporte son lot de questions : Qu’est-ce qu’un hybride ? En quoi l’hybridité interpelle la notion d’identité (facteurs liés au genre, à l’âge, au corps) ? Que recherchent les scientifiques lorsqu’ils créent des hybrides en laboratoire ? Existe-t-il des représentations négatives de l’hybride dans l’histoire de l’art ? L’hybridation remet-elle en cause le réel en trouvant refuge dans la fiction ? Dans quelle mesure l’émergence d’un art non exclusivement européen a-t-elle contribué à définir une esthétique de l’hybridation ? etc.

Le jour de la performance, le public est attendu dans l’ate­lier aménagé en salon confortable avec moquette, coussins, canapés, éclairage tamisé, bouteilles d’eau. Pour fluidi­fier les débats et diversifier les points de vue, un panel d’une vingtaine de personnes est invité à l’avance à participer aux rencontres : artistes, philosophes, historiens, biologistes, méde­cins, enseignants, étudiants, juristes, économistes, chercheurs, etc. Le public est invité à se joindre à l’assemblée présente et à parti­ciper tout au long de la soirée. Le mur de l’atelier est préparé à recevoir des mots et remarques de l’assemblée. Il est recouvert de dessins (5 neurones dessinés autour d’un neurone central). Chaque neurone est signifié par un des thèmes définis. Les questions sont imprimées sur du papier et découpées en bandelettes. Elles sont insérées dans des bocaux de verre transparents contenant des matières symboliques reliées aux thèmes étudiés : Corps/identité
-> plumes Figure politique -> peau de cabri, Biologie -> graines d’or, Remix -> câbles métalliques, Créolité -> gaze.

Where are you Going Mr Rabbit ?, 2015
Image extraite du film. Vidéo, 6 min 40 s.

La performance commence. L’artiste enfile un gant de chirurgien transparent et prélève avec une pince en métal une bandelette de papier dans le premier bocal. La question est lue devant le public et chacun donne son point de vue. Au cours des échanges, les mots sont pris à la volée, écrits au feutre noir sur des petits papiers carrés. Puis ils sont collés avec du scotch sur les neurones/thèmes de la carte mentale auxquels ils correspondent.
L’idée consiste à intervenir le moins possible pour que les échan­ges rebondissent dans la salle. L’artiste se contente de transposer les mots et les idées sur le mur et relance le débat en cas de blanc prolongé. Une fois que toutes les questions du bocal sont préle­vées et lues, un nouveau bocal est ouvert pour que le débat continue. Lorsque les bocaux ne contiennent plus de questions, le dispositif s’arrête. La carte mentale sur le mur constitue une trace, une pièce éphémère destinée à être détruite. L’œuvre se génère dans la relation qui se joue entre les personnes présentes dans le dispositif, la matière (dessins, feutre, papier, mur) sert de catalyseur de la pensée.
Suite à ces rencontres, plusieurs projets sont abordés dans l’optique de la pensée dialogique du Laboratoire des Hybrides. Chaque projet est conçu sous forme de protocoles d’actions dans lesquels les participants (publics variés) sont sollicités pour créer des formes artistiques. Les questions sont ouvertes et génèrent une infinité de réponses. On peut citer parmi ces projets : Labyrinthe, Animactes, Arborescences (vidéos), « Quel hybride êtes-vous » (photographie et collages), Bwa lo kèr (installation et cartes men­tales), Ékout mon desin (photographie et dessin). Ces questions ne cherchent pas à enrichir des savoirs mais expriment une parole, posent à leur tour d’autres questions, insolites, insoupçonnées. Orales et interactives, elles génèrent des formes vivantes qui s’expriment à travers une diversité de médiums : performances, vidéos, photographies, collages, dessins et peintures.


Sources bibliographiques et numériques

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BACHELARD G., La formation de l’esprit scientifique, Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Vrin, 1938
BATAILLE G., Œuvres complètes, vol. I, Paris, Gallimard, 1970
BORGES J. L., L’Aleph [El Aleph] [1967], Trad. R. Caillois et R. L.-F. Durand, Paris, Gallimard, 1977
BOURRIAUD N., L’esthétique relationnelle, Dijon, Les presses du réel, 1998
BRITTON Sh., COLLINS D. (eds), The Eighth Dqy. The Transgenic Att of Eduardo Kac, Tempe, Institute for Studies in the Arts and The Katherine K. Herberger College of Fine Arts at Arizona State University, 2003
DELEUZE G., Logique de la sensation, Paris, édition du seuil, 2002
DUCHAMP M., C’est le regardeur qui fait l’œuvre, M. Duchamp, Conférence autour de l’œuvre « Fontaine » de Marcel Duchamp, 1965
FEYEL J., « Le corps hétérogène de Georges Bataille », dans H. Marchal et A. Simon dir., Projections : des organes hors du corps (actes du colloque international des 13 et 14 octobre 2006), 2018, p. 62-70
FOUCAULT M., Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963
GLISSANT É., Entretien avec Édouard Glissant, Propos recueillis Frédéric Joignot, 2011
GLISSANT É., Poétique - Tome 4, Traité du tout-monde, Paris, Gallimard, 1977
HJRSCI-IORN Th., Flamme Éternelle, 2014, Palais de Tokyo, Exposition du 23/04/2014 au 22/06/2014
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SHELLEY M., Frankenstein ou le Prométhéee moderne [1818], Paris, Gallimard, coll.« Folio SF », 2015
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