Flirting with myself

Par Caroline de Fondaumière

2013

« Des créatures presque immatérielles constituées de lumière irradient un ciel bleu et serein. Surexposées, les photographies d’Esther Hoareau le sont à la limite du supportable, de la brûlure rétinienne. La lumière éclatante jusqu’à l’éblouissement, pure et absolue, devient ici sujet et thème photographiques. Le choix du numérique, comme outil malléable tant dans le traitement de la lumière que dans les possibilités infinies de capturer des images sur le réseau, est souvent celui des très jeunes artistes. Comme eux, Esther Hoareau a recours aux multiples manipulations informatiques servant au mieux son propos et les effets visuels recherchés.

Les personnages évanescents ou angéliques, les pieds et mains projetés vers le ciel flirtent avec les limites du cadre, rendant à l’immensité spatiale son ampleur, sa profondeur. La légèreté des bleus, la grâce de ces êtres portés aux nues et les embrasements célestes, tout concourt à la célébration de ces apparitions lumineuses. Le ciel diurne dans son éclatante luminosité est une belle métaphore de la naissance de l’esprit, de la conscience et de l’élévation. Lieu métaphysique par excellence, le pur azur recueille tous les élans, les aspirations ou invocations. La pure lumière concentre en elle le mystère et l’étrange de la transfiguration qui a toujours fasciné depuis les peintres d’icônes jusqu’aux grands maîtres de la peinture occidentale.

Mais choisir la lumière pour thème c’est aussi s’appuyer sur sa part d’ombre. L’extériorisation que symbolise la lumière comme une promesse de rencontre avec l’Autre fait suite à une longue et minutieuse exploration des profondeurs corporelles avec une inquiétante et voluptueuse obsession de soi. Dans ses travaux d’élève aux Beaux-Arts, Esther Hoareau avait développé, comme bon nombre de photographes de sa génération, une esthétique trash1 propre à exprimer cette rencontre érotique avec soi-même, sorte de macération intérieure, sombre et chaude, humide, sanguinolente et viscérale.

Quelques photos de transition témoignent de ce passage du rouge sang au bleu ciel. Les pieds plongés dans l’opacité de la matière ne retiennent que le délicat effleurement, I’exquise caresse et la voluptueuse sensation épidermique dans une relation préhensile au monde extérieur, semblable à une grisante tentation de ce qui est au-delà de la sphère personnelle.

Ainsi, après avoir parcouru la densité corporelle et épuisé l’intimité profonde du corps, les photographies d’Esther Hoareau acquièrent, en s’allégeant, une force plastique qu’une dimension philosophique au caractère universel soutient amplement. Ses images intemporelles évoquent le collage de la peinture moderne et son discours sur la réalité, l’espace tridimensionnel et la notion de fragment. Les éléments collés intensifient le caractère fragmentaire de la représentation qui, en le réduisant à l’état de signe, introduisent du sens dans la photographie, devenant, dès lors, une réelle composition, méditée et maîtrisée.

C’est un même courant qui entraîne les jeunes photographes sur les rives du cinéma et de la vidéo dans leur réflexion sur la nature séquentielle de la photo. Swiss melody est une série de photographies montée comme un film et projetée suivant le rythme et l’idée du mouvement inscrit sur l’image fixe. De jeunes hommes et femmes à demi nus forment une farandole et dansent au milieu des fleurs.

Une sorte d’équilibre s’est créée où l’emphase d’un firmament éblouissant semble, à présent, s’apaiser dans la représentation poétique d’un simple et lumineux champ de boutons d’or qui berce des êtres légers et sereins, purs comme des nouveau-nés. Comme eux, ils portent tous les couches-culottes qui rappellent la nuit intérieure et les forces biologiques avec lesquelles ces êtres de lumière doivent aussi compter.

Pourtant issues de ces « photographies de l’intime » qui se sont multipliées ces dernières années, les propositions d’Esther Hoareau parviennent à éviter l’écueil du banal, du quotidien et du particulier en éclairant ce qu’il y a d’universel dans l’Homme. Flirting with myself est une ballade légère et transparente au parfum de cet autre soi accordé à l’Univers. »

Caroline de Fondaumière

Texte extrait du catalogue de l’exposition individuelle d’Esther Hoareau Flirting with Myself, édité par l’Artothèque de La Réunion en 2013.

Floating, 2000
Tirage numérique sur plexiglas, 150 x 100 cm.
  1. En faisant référence à l’horreur, au viscéral, au vampirisme et autres mouvements sataniques gothiques venus de la Californie, les dessins exposés par Cameron Jamie au Centre National de l’Estampe et de l’Art Imprimé à Chatou en octobre 2011 reflètent cet univers marqué d’une espèce de romantisme tourmenté dont se réclament bon nombre de jeunes artistes.