Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Gondwana

« À travers la confuse splendeur
de l’aire australe
Dans l’architecture érodée du Gondwana
Je vis depuis des siècles une histoire
sans comparaison possible

Je parcours les criques d’un peuple
absent au lever des embruns du matin

J’habite un océan d’histoires tragiques
J’habite des courants de molécules
empreints de souvenirs sucrés-salés

J’habite des vagues surchargées d’âmes errantes
jetées dans trois siècles de profondeur abyssale

J’habite un espace de murmures insondables
J’habite un flux de pensées incandescentes
J’habite un flot de mots incompréhensibles

J’habite en bas des nuages blancs, noirs et gris
à genoux sur un océan de sel granitique

Je respire le fond de l’air où se disputent
des dieux méchants et somptueux

J’habite un océan de lourds cyclones qui écrasent
le profil acéré des mornes sans amours

J’observe un océan sourd aux vacarmes
du métal bleu des armes

J’habite le résidu d’un township
où coulent les larmes d’une femme noire

Je lis dans le dernier vol du fouquet
l’absence du parfum des peuples
rouges, jaunes et noirs

J’habite toujours le sillage des sentiers douloureux
laissé par des brigands qui arrêtent et dépouillent
les âmes

J’habite un océan de silence malgré
le tumulte des vies bafouées

J’habite inexorablement un océan où brûlent
au son des tambours le karma des passagers clandestins »

Jack Beng-Thi, 1996