Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Instantanés…, 2003-2014

Instantanés d'Afrique

Instantanés d’Afrique, 2003-2014
Tirages numériques, dimensions variables

Esprit baobab, 2003
40 x 60 cm.
Sénégal
Chant pour L. S. Senghor, 2003
40 x 60 cm.
Sénégal
Marchands de sable, 2008
40 x 60 cm.
Mali
Lutteurs du Saloum, 2006
Triptyque, 60  x 136 cm.
Sénégal
Battements de cœur, 2006
40 x 60 cm.
Sénégal
Djiba le diola, 2006
40 x 60 cm.
Sénégal

La rencontre, 2007
Triptyque, 40 x 180 cm.
Soudan

Le poète et la chamelle, 2007
40 x 60 cm
Soudan
Al sajjan market, 2007
40 x 60 cm.
Soudan
De fibres et de doigts
40 x 60 cm.
Burkina Faso
L’enfant et la bête
40 x 60 cm.
Burkina Faso
Oh ! Gorom gorom
40 x 60 cm.
Burkina Faso

Les danseurs de yaco, 2008
Triptyque, 40 x 180 cm.
Burkina Faso

Talato, 2008
40 x 60 cm.
Burkina Faso
Mariam et Djeneba, 2008
40 x 60 cm.
Burkina Faso
Les sentinelles de Rood Wooko, 2008
40 x 60 cm.
Burkina Faso
La leçon, 2011
40 x 60 cm.
Mozambique
Sur les traces de Samo, 2011
40 x 60 cm.
Mozambique
Penja tsy, 2014
40 x 60 cm.
Madagascar
Pêcheurs de Fénérive, 2014
40 x 60 cm.
Madagascar
Pêcheurs de Nosy Akoho, 2014
40 x 60 cm.
Madagascar

Rouges sont les fleuves d’Afrique, 2008
Triptyque, 40 x 180 cm.
Mali, Burkina Faso, Niger.


« Jack Beng-Thi, par ailleurs, Réunionnais

Une trentaine de photos rapportées, jadis ou naguère, par Jack Beng-Thi depuis l’Afrique et de Madagascar.

La photographie est “ la lumière écrite ” sur un support. Celui-ci s’use comme une savonnette, ou moi-même. Le regard n’efface pas cette
chimie décrivant l’instant lumineux disparu à jamais.

Le monde est déjà ici. L’objet, l’œuvre d’art sont élaboration d’un projet.
Le photographe capture une vue jamais vue, l’imagination la pensera, s’y pensera, délivrera une image présente.
Le réel est vu maintenant, le projet est à voir, la photographie prévoit ce qui fut.

Le photographe laisse ses empreintes. À l’instant de leur impression, seraient-elles traces d’un parcours ? Ce passé où elles feraient signe n’indique pas une direction, ne pose pas de questions : le passé est la question même et l’énigme.

Quelle époque saura-t-elle lire l’image ? Quelles réponses le passé donnera-t-il dans les regards inconnus à venir ? Quels récits en faire ?

“ Le passé d’une certaine manière jaillit de l’avenir1  ”.

Jack Beng-Thi est Réunionnais et il s’en va souvent d’ici ou d’ailleurs, il paraît n’être ni dans une culture ni dans d’autres, il jouit peu ou prou de chacune pour s’en éloigner incessamment : ” Il circule entre elles, et trace la structure mobile d’un parcours de la fuite et de l’allant2  ”. Sa carte d’identité est métisse, à quelques circonstances près, il serait ailleurs ou ici, l’étranger.

Avec d’autres papiers administratifs, ou sans.
Quand je passe devant la Maison Carrée à Nîmes où j’ai mon domicile, je me demande derrière quels “ limes ”, quelles frontières, me jetteraient les constructeurs romains entendant mon langage sans déclinaisons.

Pourtant, le monument paraît m’appartenir.
Aporie : cette apparence est réelle. Je n’y crois pas, j’en vis. Quelle langue parleront mes descendants et quelles ruines de supermarchés inscriront-ils au patrimoine de la galaxie ?

Sinon ça, quoi et comment faire sans l’illusion ?
Une fois, Jack Beng-Thi est revenu d’Asie, une autre fois des Indes, ou bien, “ il était une fois ”, il est allé en Afrique à Cuba et à Madagascar.
Il veut savoir maintenant en quoi les images d’autrefois deviennent lisibles aujourd’hui, et par quoi, elles rencontrent le présent “ pour former une constellation3  ”
Il apposa sa signature, le cliché -“ clic ”-, sur des lieux, des moments fugaces.
Il m’a dit qu’il n’a pas voulu faire de l’art. Il me semble qu’il regarde la mort permanente, ressent la vitesse incalculable du présent, qu’il lui faut non pas essayer d’arrêter ce qui ne peut l’être, sinon d’écarter de leur disparition les formes désirables de la vie. (L’horreur n’enlève rien au désir). Qu’il revoie ce passé maintenant, et lui donne sens.

Des danseurs de là-bas lancent le tourbillon jusqu’ici, à présent maloya.
Deux hommes universels commercent sur un monticule particulier.
Des pêcheurs tirent ensemble leur filet dans la baie de Saint-Paul, sur la plage de Rufisque ou de Nosy Akoho.
Des femmes, des hommes tissent des végétaux, écrivent le texte de leur existence.
Au marché, les bergers vendent la nourriture.
Le sang des animaux suffit aux hommes qui prient.
Des femmes entourent un baobab. Elles sont belles, elles m’interrogent. Que conçoivent mes étranges semblables partout dans le monde ?
Au tableau de l’école, je lis : ” la tête de talato ”.
On en est à “ lala ”.
La lallation est le langage des débuts, quand l’enfant pourrait apprendre tous les sons parlés par l’homme sur terre.
Toute langue n’est-elle pas un créole ?
Je vois aussi ces lutteurs sénégalais.
Ils sont arrivés à La Réunion puissants comme ils le sont en Afrique, comme ils le deviendront dans l’océan Indien.

C’est le récit aujourd’hui que fait Jack Beng-Thi sur le panneau installé en 2013 au cimetière de Saint-Paul. Se télescopent le passé atroce de la traite d’esclaves et la lecture de ce que sont advenus les individus aujourd’hui. Jack Beng-Thi est allé en Afrique chercher le malheur et la force qui l’identifient et lui donnent à comprendre l’ailleurs venu ici.

Sur l’autre face du panneau, l’artiste écrit un texte : il parle de rapt, de viol, de personnes arrachées à leur sagesse ancestrale. Il n’est pas naïf.

La sagesse, bien sûr, c’est avoir du jugement, mais l’étymologie dit que “ sapere ”, c’est avoir de la saveur, “ sapiens ”, avoir du goût. L’esclave, arrachement, a perdu les saveurs de son pays natal, il est dans la nécessité de nommer le monde inconnu, hostile, il y prend pied, il y prend goût.

Les photos maintenant lisibles permettent un relevé du parcours, et son aboutissement, toujours passager.
Ces deux états que perçoit Jack Beng-Thi, son art immobile en indique le mouvement par les oppositions entre le constat historique de la violence, et l’exaltation de la beauté à reconnaître chez ces hommes déportés.
On se rappelle l’affiche de l’exposition de Jack Beng-Thi en 2010, où il se tient debout, de dos, face à la mer : à l’arrivée ou sur le départ ?
Le spectateur attentif comprend que Jack Beng-Thi rapproche les lieux qu’il habite, que “ ses rêveries et les produits de son imagination se lèvent et se couchent dans son âme…4  ”. Son récit est bien une constellation.
Jack Beng-Thi, d’ailleurs, Réunionnais. »

Edward Roux, 2016
Catalogue Instantanés d’Afrique et des îles, auto-édition, 2016

  1. Martin Heidegger, Être et Temps
  2. Edward Roux, Du métis identique aux uniques métis
  3. Walter benjamin, Le livres des passages
  4. Paracelse, De la signature des choses naturelles