La Kour Madame Henry
Planter serait génial
« Nous avons besoin de vivre dans des petites oasis de vie et de fraternité. » (E. Morin)
« Naître dans une île-oasis, c’est naître dans un rapport concret au vivant même si ce rapport nous est invisible car nous n’avons jamais pensé la nature comme une chose et nous autre chose. Le « piédbwa » (Kako) et la liane verte (Kenkle) ont ainsi commencé et continuent à parcourir nos « tableaux » à la manière de biographèmes, ces détails de vie à la genèse de la création.
Notre projet de planter a surgi lors d’une ballade sur le terrain de Kako. Et renouer avec la terre a d’emblée signifié se nouer à la terre pour redonner place à la forêt primaire et à son imaginaire fantastique.
Moi Kako, j’ai grandi dans la forêt et dans les réalités agricoles, près du « ti jardin » d’un voisin maraîcher. Ses planches végétales colorées m’émerveillent et je me rêve alors agriculteur, dénommant, dépeignant les plantes et pieds de bois. Une expérience dans le modernisme productiviste me révèle le non-sens de l’orientation capitalisante de notre monde.
Moi Kenkle, je re-découvre le sens magique de l’île par des poètes, peintres et botanistes. Au détour d’un sentier de Mafate, la rencontre d’un planteur qui m’offre des « ti mélanz » de semences, garants de notre diversité , est celle d’un être en symbiose poétique avec la nature. Il voit dans les affleurements de terre des « horizons » et je suis subjugué par cette imprégnation atmosphérique et céleste dans le souterrain.
Nous avons donné notre premier « coup de pioche » en janvier 2019 en projetant la forêt et le jardin ensemble. Notre intention n’est pas de sanctuariser la nature mais cultiver notre jardin et regarder croître tous ces verts différents. »
Kako et Stéphane Kenkle
Catalogue de l’exposition collective Mutual Core, commissariat Julie Crenn, Artothèque de La Réunion, 2021.
« Kako et Stéphane Kenkle sont deux artistes peintres réunionnais qui se sont rencontrés il y a une dizaine d’années. Ils participent à plusieurs expositions collectives ensemble. Kako travaille sur le thème de l’arbre en démultipliant les pratiques et les approches. Stéphane Kenkle est focalisé sur le portrait. Il recourt de façon quasi obsessionnelle au motif floral en peinture, et développe depuis quelques années un travail autour d’autoportraits photographiques intégrant le végétal dans des mises en scène qui commentent, de manière décalée, l’actualité locale et moins locale. » [Sarah Cherrière]
En 2019, les deux artistes s’associent pour un nouveau projet : défricher la Kour Madame Henry, une ancienne plantation destinée à la culture intensive de la canne à sucre située près du Piton Mont Vert dans le sud de l’île de La Réunion. Ils décident alors de cultiver cette terre et d’y faire renaître une forêt primaire. « Notre projet de planter a surgi lors d’une balade sur le terrain de Kako. Et renouer avec la terre a d’emblée signifié se nouer à la terre » [Kako & Kenkle]
« La kour Madame Henry leur demande un engagement aussi fort qu’évident, et leur permet de faire l’expérience concrète et non préméditée d’une continuité gestuelle entre peindre et planter, cultiver et installer, composer et labourer » [Sarah Cherrière]. Si les deux artistes modifient le paysage, ils se trouvent aussi transformés par cette nouvelle relation et les interactions qu’ils entretiennent avec la terre. « Les plantes ne sont pas le paysage, elles sont les premiers paysagistes. » écrit Emanuele Coccia.
[…] Kako et Stéphane Kenkle donnent à voir ce que planter fait d’eux, interrogeant la notion même d’autorité. » [Sarah Cherrière]
Ces deux autoportraits photographiques illustrent ces questionnements, et montrent les liens d’interdépendance qui unissent les artgriculteurs à la terre qu’ils travaillent, et à laquelle ils se sont noués.
Journal de l’exposition collective Agir dans son lieu, AntrePeaux Transpalette, Bourges, 2022. Une proposition de Julie Crenn.