Mounir Allaoui et Mhaza
Par Soeuf Elbadawi
2020
Focus paru en février 2006 dans le n° 60 du journal Kashkazi sur Mounir Allaoui et son film Mhaza Kungumanga.
Où l’on reparle des débuts prometteurs d’un jeune cinéaste au parcours bien singulier.
Le jeune vidéaste d’origine comorienne rêve d’imaginaire débridé. Mhaza Kungumanga, son dernier film, présenté au FIFAI 06 à La Réunion, est un morceau d’avant-garde pour le pays des quatre quarts de lunes. Avec un générique digne du plus indé des cinémas d’Asie. Verdure agonisante (ou envahissante ?) qui ouvre sur un chantier de construction. Paysage aquatique d’artifice ou essaim de gouttelettes d’eau confinant au brouillard ? Une esthétique de l’effritement, peut-être ?
Une succession de fondu enchainé. Un homme à la mer est filmé depuis la terrasse d’une médina endormie. Une voix de grand-mère conte l’histoire de Mhaza Kungumanga, fille mariée par inadvertance à un sera (esprit malin) dont le destin se confond avec la nuit des temps sur un archipel de lunes. Interférences sonores. Imagerie quasi impressionniste. La mer est proche. La narratrice se perd dans les flots. Et son conte n’est que fragments et murmures. Une autre voix intervient. Celle d’un Sambi transformé en charmeur de mouche.
L’actuel président joue à faire croire. C’était en période de campagne. Jeu de contrastes. Avec la vieille dame et son micro renversé notamment. Superposition des langages. Le discours politique approche de l’approximation électoraliste. La légende de Mhaza paraît totalement décalée du quotidien de ce lieu où le dénuement se confond avec la nostalgie d’une carte postale. Ce film sur un pas où la seule image d’actualité se situe d’ordinaire dans une petite lucarne infestée de clichés importés transpire d’audace.
Venu au cinéma pour satisfaire une curiosité de minot, Mounir Allaoui est le digne rejeton d’une aristocratie comorienne, au sein de laquelle se multiplient les stratégies de pouvoir et les rêves de grand soir. Mère anthropologue et militante culturelle, père second couteau en politique, enfance aisée déconnectée du vécu populaire comorien, études aux Beaux-Arts, pionnier du septième art au pays du m’lelezi et des légendes de Bilqis, Mounir a su tracer sa route, en intégrant le songe d’un cinéma de l’étrange chez ses maîtres asiatiques ou européens et en s’interrogeant, de loin, sur son appartenance à ces îles. Tout en restant méfiant à l’égard des logiques communautaires trop pesantes. « Je pense rarement en terme de nation », confiait-il récemment.
« Je sais d’où vient mon corps, mais ma psychologie comme celle de beaucoup d’expatriés, est un vrai foutoir. Je ne pense pas être capable de représenter authentiquement les Comores. D’ailleurs, qu’est ce que représenter authentiquement un pays ? Ce qui anime mon ego, c’est de me croire libre de la conscience d’appartenir à une nation. Je ne me pose pas de problème de conscience en liant mon identité à ma nation d’origine comme peuvent s’en poser Salim Hatubou ou Sast, qui écrivent sur les Comores. On pourrait dire, sans que cela soit totalement faux, que je suis le produit d’un Occident athée, à la conscience territoriale diluée par les technologies de communication. Je passe beaucoup de temps sur internet à discuter avec des japonais, des chinois et des thaïlandais … J’ai tendance à abstraire, à me détacher des corps. On pourrait donc dire d’une manière très grossière que je préfère la fiction au réel. Beaucoup de ce qui compose l’identité en général me semble un amas de fictions en pagaille ».
Une manière (sans doute) de signifier à tous que si Mhaza Kungumanga se comprend mieux une fois remis dans son contexte d’écriture, nul n’a le droit de le réduire au manifeste identitaire. Il n’empêche ! Mounir est considéré comme l’une des valeurs sûres de l’archipel en matière d’images, même si ses compatriotes (comoriens) ne le savent pas toujours. Ils sont si peu à avoir vu son film …