Clotilde Provansal

MÀJ. 03.12.2024

Mes racines touchent le centre de la terre

Mes racines touchent le centre de la terre, 2023
Vidéo, 7 min 52 s en boucle.

Images extraites de la vidéo


Mes racines touchent le centre de la terre

« Dans un morceau de nature minéralisé au cadrage serré, une femme vêtue de bleu et noir et avec une imposante chevelure noire qui lui barre le visage, semble vouloir arracher du vétyver. L’œil établit très vite une correspondance sensible entre ces fibres végétales et humaines.

Nous assistons à une action de force déployée mais son déroulé au ralenti la rend gracieuce. Les gestes ou les mouvements des deux corps s’enlacent, balancent ensemble dans un va-et-vient, de gauche à droite et vice-versa. Des bruits, comme des craquements d’os des doigts ou ceux des cheveux du vétyver qui cèdent, se font entendre dans une noise ambiante qui ressemble à celle des grondements de l’océan.

À un moment donné, l’image en mouvement se dédouble et produit un effet miroir – qui évoque le Narcisse caravagesque – partiellement, car seul est concerné le bas de l’image. Il amplifie les gestes, les relient. Il décuple la force ressentie. Il produit des arcs et l’œil finit par substituer au combat une danse corps-à-corps, une osmose avec ce vétyver qui lui parle et dit : Mes racines touchent le centre de la terre !

Le végétal parle si nous voulons bien y porter attention et l’écouter. Il nous dit d’emblée que cette action de vouloir l’arracher, est absurde, vaine, sysiphéenne. Les racines du vétyver sont indéracinables à main nue. Pour la déterrer aujourd’hui – l’essence du vétyver réside dans ses racines – l’agriculteur a recours à des machines.

L’artiste se met en scène dans une action pour en montrer son impossibilité. Ça raconte la résistance de certaines espèces ou formes du vivant.

C’est dans le contexte anthropocène dont on date les débuts avec la révolution industrielle du XIXe siècle, jusqu’à notre “ période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux ” (Larousse) que s’inscrit cette action-performance. Elle s’ancre alors dans ce grand mouvement d’éco- art ou d’art environnemental, où les artistes s’engagent à sensibliser le plus grand nombre d’entre nous aux problématiques écologiques contemporaines et urgentes à résoudre.

Henry David Thoreau avait déjà prophétisé ces problématiques, dès le milieu du XIXe siècle, à travers son ouvrage Walden ou la vie dans les bois où il conduisit une “ réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société, écrite lors d’une retraite dans une cabane qu’il s’était construite au bord d’un lac. ” (Radio France).

Il ne s’agit cependant pas pour l’auteure de Mes racines touchent le centre de la terre de prôner un “ go back to the trees ”. Son message est limpide, politique et poétique : dansons avec le végétal, dansons avec et dans la nature, faisons corps avec elle qui peut et veut faire corps avec nous, humains.

Colette Pounia
Extrait des cartels de l’exposition Re-Bird, commissariat Colette Pounia, Artothèque de La Réunion, Saint-Denis, 2023.