Ophelia Reuniense
Exposition Hors du corps programmé, Galerie de l’École supérieure d’art de La Réunion, Le Port, 2016
Biothèques
« Sur l’étagère d’une bibliothèque débordante, couverte de poussière et de toile d’araignée, repose une fiole du Laboratoire Provansal qui contient quelques filaments d’Ophelia reuniense. À la manière d’un châle, cette fiole est entourée en son goulot d’une gaze qui avec le temps a pris le jaune des livres les plus vieux. Régulièrement, le bibliothécaire remue légèrement la fiole afin que les cheveux effectuent de concert leur danse électrique.
Créature cryptique des eaux de l’Île, entité mycéliale à l’intersection des règnes, les capacités de régénérescence de l’Ophelia reuniense la rendent virtuellement immortelle lorsqu’elle se mêle à toute nature. Oxymore biologique, aboli bibelot d’inanités logiques, elle est le symbole ramifié d’une recherche alchimique aussi ancienne que pionnière.
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Au retour de l’Antarctique, le navire qui transportait le Docteur Rogozov fit escale dans les archipels du sud-ouest de l’océan Indien. Son expérience personnelle et son penchant pour les curiosités naturelles lui firent connaître l’Ophelia reuniense dont il eut le loisir de prélever un spécimen qui vit toujours dans un laboratoire aménagé en serre tropicale au cœur de Saint-Pétersbourg. La créature a été étudiée par le Docteur Rogozov jusqu’en l’an 2000, année de sa mort, puis par l’équipe du Laboratoire Provansal, conjointement à des unités de recherche insulaires dispersées à travers les régions tropicales des océans. Les plus récentes conclusions de ces études indiquent que la régénérescence de l’Ophelia reuniense augmente exponentiellement en fonction du nombre d’espèces qui lui est interconnecté. Par ailleurs, il a été noté que la créature se comporte à la manière d’un super-organisme, si bien que toute liaison qu’elle effectue, même la plus ténue, est de l’ordre de la symbiose généralisée. Le Laboratoire Provansal s’est réjoui de ce nouveau paradigme biologique et a d’ores et déjà lancé un programme de recherche dans les biotopes de l’océan Indien afin d’observer les auto-opérations symbiotiques et réparatrices accomplies par l’Ophelia reuniense dans son milieu naturel. L’équipe du Laboratoire en espère une révolution conceptuelle qui révélerait que le comportement de la créature n’est pas une exception, mais plutôt une possibilité intrinsèque des bios dans leur ensemble, ce qui impliquerait que des mécanismes symbiotiques hautement intégrés agissent en des cascades d’interactions réciproques à toutes les échelles de la biosphère.
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Cédric Mong-Hy, extrait de Modi Operandi (omnia natura) : micro-essais de sciences naturelles et autres tranches de vie, catalogue de l’exposition Re-Bird, édition Artothèque de La Réunion, 2023.
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