Light bulb
Série « Sculptures d’eau »
Le principe des Sculptures d’eau est issu d’un phénomène physique naturel : la réflexion de la lumière solaire au travers d’une goutte d’eau. Certaines plantes dans la nature ont la particularité de posséder des feuilles à duvet, et donc de pouvoir maintenir les gouttes de rosée en suspension, comme sur un coussin d’air. L’eau ne touche donc pas réellement la feuille, mais est posée, grâce au phénomène de viscosité, sur les poils du duvet.
La lumière solaire à un certain angle, quand elle traverse cette goutte, se trouve réfléchie par la couche d’air qui se trouve sous la masse d’eau. C’est à partir de cette singularité indicible que j’ai commencé un travail plastique, il y a une dizaine d’années, en recherchant tout d’abord un matériau qui se rapproche du duvet naturel.
Cette période arrivait après mes essais de fonderie aléatoire, où j’ai expérimenté et analysé la viscosité de l’aluminium en fusion. C’est à ces moments que j’ai remarqué que le métal chaud, brûlant le sable, créait ce duvet charbonneux capable de maintenir les gouttes dans leurs formes. Depuis, c’est avec cette alchimie faite de sable, de feu, d’eau et de soleil que j’ai mis au point le principe des sculptures d’eau, empreintes éphémères et fragiles, illusions optiques.
Cette pratique se concrétise aujourd’hui par des traces vidéo de scénarios avec l’eau et le négatif d’objets ou de formes. Dans le cas de l’ampoule à filament, c’est sa charge symbolique, en tant qu’icône de la modernité, qui va capter l’attention du spectateur pour que s’effectue ce que j’appelle la « dilution ». C’est-à-dire la dématérialisation de l’objet en empreinte liquide. Seuls la manipulation des empreintes et l’orientation vers les rayons solaires interviennent comme effets dans les séquences vidéo.
Jean-Claude Jolet
Vues de l’exposition collective Points de suspension, opération « Tribune Vidéo », Ankraj-OI, galerie de l’École supérieure d’art de La Réunion, Le Port, 2012.
Voir aussi les vues de l’exposition individuelle Extrême dilution, chapelle Saint-Julien, Petit-Quevilly, Rouen, 2013.
« Jean-Claude Jolet est sculpteur. Ce qu’il donne à voir dans Light bulb est issu, comme ses précédentes propositions vidéo, de ses expérimentations autour de l’ampoule à filament, son empreinte dans le sable, et le jeu d’eau et de lumière qu’il y inscrit. Le titre rend hommage aux œuvres de Jasper Johns, compagnon de route de Rauschenberg, avec qui il créa le mouvement néo-dada à la fin des années 50, préfigurant les multiples « aventures de l’objet » du pop art de la décennie suivante. « Take an object. Do something to it. Do something else to it » : cette phrase de Jasper Johns s’est appliquée durant près d’une vingtaine d’années, de 1958 à 1976, à l’ampoule électrique. Les Light Bulbs de Johns sont des répliques faites à la main d’un produit industriel fabriqué en masse. Jean-Claude Jolet nous en montre l’empreinte, dans une projection de grande dimension sur trois lés de papier installés dans l’angle de la pièce. Trois empreintes d’ampoules réalisées dans du sable noir magnétisé, posées tête en bas, comme suspendues sur un fond de matières sombres. De l’eau, qui sourd des profondeurs de l’image, et qui, de manière cyclique, va jouer et rejouer le même scénario à l’intérieur de l’empreinte : émergence, croissance, entropie, disparition. Ce triptyque, qui emprunte fortement à la peinture, notamment à l’image du retable, donne, par le rythme des images, et l’intensité quasi auratique de la lumière, une vision sublimante de l’ampoule, sorte d’apparition lumineuse sur fonds de ténèbres, trinité d’idoles modernes invitant à la contemplation, au recueillement, ou tout au moins à l’absorption hypnotique. Les ampoules de Jean-Claude Jolet, telles des épiphanies, durant un temps très court, se confondent avec de véritables ampoules, puis se délitent et disparaissent. Entre le début et la fin, l’apparition et la disparition, s’établit un ordre cosmique, le spectacle d’un monde en perpétuel mouvement, oscillant entre d’infinies vibrations et des plages de silence avant disparition progressive, extinction puis recommencement. »
Patricia de Bollivier, 2012.
À propos de Points de suspensions, opération « Tribune Vidéo », École supérieure d’art de La Réunion.