Le tropisme du lambrequin

Par Bernard Leveneur, directeur du musée Léon Dierx à Saint-Denis, La Réunion.
Commissaire de l’exposition Le tropique du lambrequin.

2013

Immersion, 2013
Tirage numérique, 3 ex, 60 x 80 cm.

Le lambrequin n’est pas des tropiques …

Ils ornent les maisons traditionnelles ou les architectures néocréoles des lotissements de banlieues de La Réunion : héritage, signes de reconnaissance et symboles identitaires, les lambrequins résument l’architecture créole.

Pourtant l’origine des lambrequins est ailleurs, loin des tropiques.

Elle se perd dans les motifs décoratifs textiles du 17e siècle, dans les pavillons éphémères des expositions universelles du 19e siècle organisées dans les grandes capitales européennes, dans l’architecture de villégiature de bord de mer à Arcachon ou Deauville ou dans les catalogues des éditeurs de fonte d’art du siècle de l’industrie.

Ces frises, garde-corps et impostes ne sont pas créoles : s’ils fleurissent dans les îles, leurs racines sont européennes.

Ils apparaissent dans l’architecture réunionnaise vers 1860-1870. Comme ailleurs, le néo-classicisme cesse d’être la référence officielle et d’autres modèles influencent architectes et ingénieurs. Les premiers signes sont visibles à Saint-Denis : la Maison Foucque (rue Jules Auber), le Chalet (boulevard Doret, détruit) présentent en façade les premiers décors en bois découpé.

C’est au début du 20e siècle qu’ils se généralisent dans l’architecture créole passant du registre savant au populaire. Les artisans du bois ou du métal multiplient les formes, les modèles, faisant preuve d’une très grande créativité. Les lambrequins autour des auvents canalisent les eaux pluviales ; les impostes laissent passer les alizés et aèrent naturellement les maisons. Ils symbolisent aussi l’aisance, embellissant à peu de frais des maisons aux formes rustiques.

Réalisés dans des planches de bois ou des feuilles de métal, ces décors ajourés séduisent et contribuent à l’exotisme insulaire. Ici, aux Antilles, dans d’autres univers coloniaux, ils sont devenus stéréotypes dans l’imaginaire européen sur les îles, au même titre que la plage bordée de cocotiers.

Acculturées, les bandes de lambrequins sont pour Jean-Claude Jolet un point de départ pour des métaphores plastiques traduisant sa réflexion sur l’identité. Reproduites en peaux séchées, elles lient, oppressent et s’assouplissent pour mieux s’adapter, à l’image des appropriations, des conflits, des syncrétismes des mutations de la culture.

Ces lambrequins enserrent aussi deux plâtres anciens ou flottent dans un tube de verre rempli d’alcool au milieu des tableaux d’artistes représentatifs de l’école de peinture réunionnaise. Exposer au musée Léon Dierx revient parfois à relever le défi de la confrontation au passé colonial du lieu, à ses collections historiques. Comme Sarkis, Chen-Zhen ou David Mach avant lui durant les années 1990, Gabrielle Manglou en 2012, Jean-Claude Jolet donne une nouvelle identité au lieu. 

Quaibranlysation, 2013
Lambrequins en peau animale, verre, hauteur 60 cm.
Torsion, 2013
Sculpture, moulages en plâtre et palettes, 2 exemplaires, 65 x 90 x 50 cm.

Vues de l’exposition individuelle Le tropisme du lambrequin, musée Léon Dierx, Saint-Denis, La Réunion, 2013.