Entropie(s)

Par Jean-Claude Jolet

2018

Si l’entropie en physique désigne l’augmentation exponentielle du désordre, la surenchère du chaos, alors le dynamisme que déploie Jean-Marc Lacaze dans son travail plastique tient sûrement du raisonnement de cette fonction expansive…

Son entropie n’est pas une vision pessimiste de l’avenir du monde, mais la métaphore de l’accélération du monde. Paul Virilio l’urbaniste nous met en garde contre les dangers de la vitesse, le plasticien, lui, nous traduit avec désinvolture les ecchymoses liées à la vitesse.

Pour cela il pratique le mashup, il sample, recycle, associe, mélange. L’hybridation qui en résulte donne à voir des formes, tantôt sculpture tantôt installation, jusqu’au dessin et la vidéo, que l’on dirait post-modernes, c’est-à-dire volontairement fabriquées avec cette humilité qu’ont les artistes de cette génération à faire des propositions plutôt qu’à réinventer « l’œuvre ultime ».

À en juger, son Lance-pierre géant symbolique de la résilience, ce tronc d’arbre flotté, noyé, s’arc-boute à nouveau dans une dernière respiration. Jouet cruel dans la main d’un enfant, son échelle dans l’exposition semble tirée d’un croquis de De Vinci, ou Panamarenko. Projection du rituel du Gol des îles Vanuatu, ou projection tout court ? La pièce inonde de tension, déplacement spatio-temporel pataphysique… (de quoi laisser baba Paul et Jacques).

Dada ! Le travail de Jean-Marc Lacaze est de cette veine-là, ironique et volontairement ostentatoire, il y a de l’aberration réfléchie dans ses bricolages de machines. Célibataires ou pas, elles interpellent par leur surabondance de réel. Plus loin, des ex-voto fétichisés façon « punk ethnic » rassurent l’artiste dans sa position géographiquement acculturée.

Si la lycanthropie en mythologie désigne la transformation en loup d’un être humain, alors l’affection qu’a l’artiste pour les chiens tient sûrement du refoulement de ce fantasme…

Ses canidés, qu’ils soient sculptures ou dessins, sont des réceptacles, des miroirs, des buvards de sentiments. Ils sont matière. Malléables, ils impriment aveuglément les contours inconscients de la réflexion humaine.

Mais cette fois ils se sont tus… l’artiste nous propose plutôt, dans cette exposition, de flairer une piste, la sienne, reconnaissable par la facture des pièces qu’il fabrique, mais aussi par son choix instinctif de magnifier des objets dont les symboliques ont toutes à voir avec l’idée du mouvement, du déplacement. Dixlocations, sa dernière vidéo, en fait la démonstration, poésie et dérision se mêlent pour surfer sur le mythe d’Ophélie, offrant un personnage dérivant ou délirant, bercé par des eaux paradoxales.

Si la philanthropie en philosophie désigne l’attention désintéressée portée aux êtres humains alors…

Dix locations, 2016
Image extraite du film. Vidéo, 4 min 47 s.
Cascade de Soulou, Mayotte