Xavier Daniel

Par Christine Fauvre-Vaccaro

2015

CRÉATION DES MONDES

Par son travail, qu’il soit expérimental ou abouti, Xavier Daniel crée du mythe, fabrique des mondes (cf. Nelson Goodman). La spiritualité imprègne toute son œuvre, même les installations les plus prosaïques incitent à la pensée ou même à la méditation. Les figures graphiques organisées comme des yantras, nous initient à la sublimation des passions, mais à la place de la régularité géométrique de ceux-ci, nous percevons l’imperfection du geste de l’humain, le griffonnage, la rature presque, comme pour nous rappeler que nous ne sommes pas d’essence divine et que nous pouvons bousculer les mondes afin de les rendre vivants.

LE MONTREUR

La portée réflexive et même philosophique de son travail traverse les champs de l’exploration de soi et du monde : questionnements incessants alternent avec des réponses plastiques diverses empruntées à des contextes souvent déroutants : religieux, scientifiques, empiriques, sociologiques ou artistiques ; il faut faire feu de tout bois car « tout choix est un renoncement » a dit Nietzsche ; l’existence d’une œuvre porte en soi la destruction des autres œuvres potentielles ; mais l’artiste ne veut pas renoncer, il veut épuiser tous les possibles, il faut expérimenter sans cesse ce qui nous environne ainsi que la place, le rôle de l’homme dans ce chaos ordonné chaque fois par l’œuvre d’art. Toute démarche de création, d’ajustement du monde à l’homme est démiurgique ; toute œuvre qui en résulte peut être perçue comme contrefaçon de l’œuvre divine, car elle est unique et elle EST tout simplement puisque quelqu’un l’a faite et la montre !

Ainsi, remontant le fil de la démarche de création du monde, Xavier Daniel ajuste très finement1 le moindre indice de l’univers afin de l’amener à être vu. L’artiste comme montreur. Par une stratégie particulière, l’artiste nous fait ouvrir les yeux sur ce qu’il montre, même si ce n’est parfois au départ qu’un objet sans âme ; nous n’aurions pas remarqué sans ce dispositif propre qui définit l’œuvre d’art. Nous ressentons alors cette fameuse impression condensée dont parle Edgar Poe. Le fameux esprit follet rôde, nous nous élevons : Polyptik nous y prépare avant de nous faire ravir par les Zespri. Les âmes désincarnées deviennent douées de pensée et de vie, déplacement de sens, déplacement de matière, l’humain trouve enfin sa place dans la grande chaîne du vivant et des objets autrefois dits inanimés.

Cosmogonie où toute invention est viable car elle se trouvera imbriquée et interdépendante ; reste à placer des veilleurs (veilleuses), des sentinelles pour prévenir de tout danger de destruction incontrôlée de cet équilibre, de cet état de grâce, car si l’on doit détruire, c’est que toute destruction doit renvoyer à la création, sinon elle n’est que perte.

Série Japon, 2019
Série Lambrequins, 2011-2013
Série Élementaux, 2007-2008

Corpus Polyptiks, 2009-2019

NAISSANCE DE L’OBSERVATEUR

Les dispositifs plastiques, installations et interventions qui composent le travail de Xavier Daniel provoquent, simultanément à leur événement, une attitude d’observateur de la part du spectateur : le premier réflexe de surprise passé, on doit s’arrêter et déchiffrer. Quels sont les indices et les stratégies contenus dans ce que l’on voit ? L’artiste nous met sur la voie par juxtaposition, frottement pourrait-on dire, d’éléments n’appartenant pas au même champ de cognition.

Par exemple Vanité honnie :

Champ scientifique avec les nids de tisserins,
Champ artistique (vanité),
Champ lexical (honnie),
Poétique et métaphorique avec La commande de Gaïa
Vient s’ajouter l’effet visuel de cette sculpture impressionnante.

Quelles en sont les significations possibles, dans quel but ? On ne peut faire l’économie de poser des questions et de s’essayer à des bribes de réponse. Tel un laborantin ou un chercheur qui voit se dérouler sous ses yeux une expérience scientifique, le spectateur doit vérifier des postulats et déduire des lois… comme dans le principe anthropique, les observateurs sont nécessaires non seulement à la constatation, mais même à l’existence d’un univers observable ; j’observe, donc je suis et le monde existe, au contraire, si je refuse de m’arrêter et d’observer, alors le monde nouvellement créé se dérobe, s’évanouit et m’entraîne avec lui. Le point zéro de l’être ne se met en marche que dans le mouvement incessant de l’observation du (des) monde(s).

  1. Il apparaît que les lois de la physique sont sujettes à un nombre étonnamment important d’ajustements fins sans lesquels l’émergence de structures biologiques complexes n’aurait jamais pu se produire dans l’univers.