Alice Aucuit
Par Leïla Quillacq
2020
« Je recompose une petite histoire à partir de l’Histoire qu’on nous apprend »… et elles finissent par résonner.
Alice Aucuit est une artiste plasticienne céramiste. Elle travaille par séries – aux titres évocateurs – au sein desquelles se rencontrent volumes, images et matières. Maîtrisant le médium céramique, elle associe cette pratique traditionnelle à des techniques de transfert et de reproduction plus contemporaines. Ses sculptures d’argiles sont souvent unies à des objets collectés ou des matériaux recyclés. Au départ d’impressions, d’une curiosité instinctive et d’un goût pour l’Histoire, Alice Aucuit mène l’enquête, cherche et recoupe des sources, expérimente et opère des liens entre divers éléments avant de revenir à la forme, à la matière, à la surface et aux textures contenant et rendant compte de ces articulations.
« Je travaille en m’inspirant d’un objet ou d’un lieu, d’un fait divers ou historique, et je recompose une petite histoire à partir de l’Histoire officielle », dit-elle. « Je détricote les contes et les mythes comme les faits d’actualité pour tisser des histoires anachroniques et syncrétiques que je brode sur la trame de l’Humanité. » De l’intime à l’universel, du sacré au populaire, ces histoires figurent l’amour, la création, le féminin ou la mort et finissent par résonner dans l’inconscient collectif.
Souvent l’artiste se met en condition de production à travers des temps d’immersion dans un lieu avec lequel ses œuvres entrent en dialogue. Ainsi Archéologie absente (2013) et Parodie (2015) – séries d’œuvres issues d’une résidence au musée de Villèle, ancien domaine colonial Panon-Desbassayns – traitent à la fois de la mémoire du lieu et de la symbolique des objets de sa collection. Un service à thé fondu portant le nom d’esclaves marrons (c’est-à-dire en fuite) tristement célèbres en lettres d’or, des trophées humains ou des fusils de braconniers revisités appellent à une forme de réhabilitation d’une histoire encore cachée, « pour ne pas oublier ».
Le patrimoine à la fois visible et invisible est aussi en question dans La Part des Anges (2019), une série de productions issues d’une résidence à l’usine Isautier, distillerie familiale d’envergure industrielle créée au XIXe siècle à La Réunion. Mettant en lien la corporation du sucre avec celle de la céramique, l’artiste fait la lumière sur les savoir-faire invisibilisés par les techniques d’industrialisation modernes, comme la transformation des matières premières par le feu, pour en faire d’autres objets. Il s’agit alors de valoriser à la fois ce et ceux qu’on ne voit pas, que ce soient les déchets (bagasse, engrais ou mélasse) ou le travail ouvrier. Le Bruit de la Ruche, sculpture aux allures de totem, prend ainsi la forme d’une colonne d’élévation à l’intérieur de laquelle quelque chose se concentre, se distille et s’évapore. L’artiste y intègre les sons de l’usine, grondements de bruits industriels, au-dessus desquels flottent des nuages dépeignant des personnages illustres de l’île, tout en évoquant le delirium tremens.
Pour sa prochaine exposition, Alice Aucuit s’attelle à un nouveau corpus – L’Écho des berceuses (productions 2020) – dans lequel elle réactive l’idée de cabinet de curiosités. Les mises en scène d’objets hybrides font écho à celles des muséums d’histoire naturelle et jouent avec les repères, entre naturalia et artificialis. Des formes miniatures, rituelles et chimériques font appel aux figures marquant les mythes et légendes de sorcières et autres femmes archétypales : femmes-louves, femmes-oiseaux ou vénus préhistoriques. Au travers de fioles et de boules de verre, de collections entomologiques, de poupées vaudoues et de constellations, de carnets et autres éléments de recherches à la fois scientifiques, poétiques et ésotériques, naissent des œuvres ayant trait aux pratiques du fétichisme, de la magie et de l’alchimie. Une bande-son diffuse des voix chuchotant des incantations, mêlées à des chants d’oiseaux, au sein d’une scénographie au ton onirique, rappelant en creux les parts sombres liées aux peurs intimes et collectives, à une forme de mélancolie.
En parallèle, cœurs (série Kèr) et ossements (série Bone China) sont des motifs récurrents de son travail. L’artiste y voit des formes parfaites et évidées d’une anatomie humaine remplie de mystères, contenant cette mémoire du corps et des contes – cathartiques – comme autant de vanités.