Anne Fontaine
Par Leïla Quillacq
2020
« Je déplie mon jardin et des choses se révèlent… »
Le travail d’Anne Fontaine s’ancre à la croisée des recherches scientifiques en botanique et en sociologie portant sur le jardin comme lieu de création. C’est un travail contextuel, « c’est ce qui m’environne qui me préoccupe, décortiquer ce qui est autour de moi, ça part de là », dit-elle.
Une première série Émeutes, réalisée en école d’art lors des soulèvements des banlieues en 2005, ouvre la voie aux questions d’identité, de corps étrangers, du rôle de l’image et de sa propagation. Peu à peu, l’artiste concentre ainsi sa production plastique autour de l’idée de motif : « Ce qui m’intéresse dans le motif, c’est la cellule, le cycle, le vivant qui est le même dans son schéma et sa mécanique, mais jamais dans son individualité. Ce n’est jamais la même chose. » Le motif n’est donc pas traité comme une répétition mais comme un déploiement, un mouvement de prolifération et de contagion. Au dessin ou à l’encre, par l’art du papier peint, plié ou découpé, à travers le moulage, le volume ou l’installation, il s’agit de « déplier l’espace à l’infini » et sans jamais le re-produire.
Le vivant reste au cœur de ces matrices que l’artiste décline comme autant de Révolutions silencieuses, titre d’un corpus d’œuvres (réalisées entre 2017 et 2020) qui pose les bases de protocoles de travail recentrés autour du monde végétal. À partir d’une parcelle de terrain choisie, délimitée puis mesurée, Anne Fontaine extrait ses matières premières comme des échantillons recueillis à la manière de l’herbier, avec lesquels elle réalise une composition ordonnancée. Classifiant les espèces – indigènes, exotiques ou endémiques –, elle en déroule autant de variations. De la cueillette première résultent ainsi des œuvres convoquant le regard dans une observation active. Passant du macro au micro, l’œil est appelé tout à la fois dans une immersion calme et reposante – générée par l’effet kaléidoscopique des compositions – et dans l’examen scrupuleux des détails graphiques.
Qu’elles soient photographiques, au travers de tirages à échelle 1 de prises de vues sur tables lumineuses rendant des effets d’aquarelles, ou sérigraphiques, au travers d’impressions de lés contrecollés sur les cimaises d’un espace d’exposition, ces œuvres ramènent l’extérieur à l’intérieur et invitent à entrer en hétérotopie. De petits gestes quotidiens et domestiques, à la fois aliénants et libérateurs, il s’agit de revenir au jardin comme cet espace sauvage que nous avons besoin de maîtriser, de structurer, et qui – comme l’écrit Michel Foucault1
– « est la plus petite parcelle du monde mais en est aussi la totalité ».
« Mon jardin est une friche dans laquelle j’interviens finalement peu. C’est une image du chaos dans lequel nous nous perdons, sans repères architecturés. Je déplie mon jardin et des choses se révèlent, font écho à différentes cultures, des rituels, des pratiques, des métiers, des classes sociales… » poursuit l’artiste.
À première vue florales, contemplatives et organisées, ces œuvres nous parlent de biodiversité, d’un écosystème à préserver et mettent en question les politiques agricoles et d’aménagement du paysage et du territoire, cruciales aujourd’hui à La Réunion. Une réflexion qui interroge nos pratiques à l’ère de l’anthropocène et leurs répercussions sur notre territoire insulaire. Les plantes envahissantes et adventices (qui poussent spontanément) deviennent ainsi l’axe de recherche principal de sa résidence au Jardin botanique de La Réunion en 2019.
En étudiant le terrain en jachère environnant, l’artiste se focalise sur les plantes classées EEE (espèces exotiques envahissantes) et déclassées des collections. « Sur ces parcelles, les plantes se disputent la place, s’envahissent, mais un équilibre se crée malgré tout. »
Comme une sorte d’archéologie du vivant, le travail d’Anne Fontaine est en évolution permanente, et continue de parler de ce qui est étranger, déclassé ou catégorisé, de cultures et d’exploitations aussi, d’héritages : « Pour moi, les plantes sont une manière d’interroger l’homme et son rapport au monde. Quand je parle d’immigration et d’un ailleurs, c’est aussi présent là, dans la question des espèces exotiques, dans le flux migratoire par les plantes, dans les mouvements du vivant et du vivre ensemble. »
- Michel Foucault, « Des espaces autres », dans Dits et écrits 1954-1988, vol. IV : 1980-1988, édition Daniel Defert et François Ewald, Gallimard, Paris, 1994. ↩