Cristof Dènmont

Par Leïla Quillacq

2020

« J’accumule des traces, je dépose de la matière (…), au fur et à mesure ces traces deviennent des signes… »

La peinture de Cristof Dènmont s’intéresse à un inconscient collectif et à un imaginaire de l’insularité. Composites, ses toiles donnent à voir certains types de motifs ou d’écritures qui sont autant de citations renvoyant à l’histoire de l’art et à la représentation en peinture. Jouant avec les codes d’une hypothétique « peinture exotique », il inclut des éléments stéréotypés dans des compositions au ton parfois expressionniste. Ananas, palmiers, volcans, saucisses ou paraboles peuplent alors plus particulièrement les premières séries Homo Insularis (2006-2012) et Saadiyat, l’île du bonheur (2008, 2009).

Se référant aussi bien aux codes de la figuration qu’à ceux de l’abstraction, ses tableaux se composent peu à peu en plateaux et échappent aux principes de la perspective, en assumant les « formes plates » et le traitement de la profondeur par la couleur et les textures. Avec les séries Plateformes (2013-2014) puis Archipel Vertical (2014-2016), l’artiste introduit l’idée d’archipel à son champ de recherche et aborde peu à peu le paysage comme une sorte de cartographie sensible. La peinture devient pour lui un espace intermédiaire : « Le processus pour arriver au paysage est indissociable du paysage lui-même », dit-il, rendant lisible en surface le cheminement du geste et de la pensée comme la quête d’un point d’équilibre. L’œil navigue alors entre l’espace physique de la toile et celui que suggère le paysage, au sein duquel les figures apparaissent comme en suspens.

Célébration II, 2015
Série Plateforme. Acrylique sur toile, 120 x 150 cm.
Collection privée
Archipel vertical IV, 2015
Huile sur toile, 180 x 180 cm.
Collection du conseil régional de La Réunion (2016).

Parmi ses leitmotivs, Cristof Dènmont utilise l’image de la pieuvre comme métaphore pour parler du dessin, de la ligne, du réseau. Partant d’un noyau à partir duquel se déploient différents axes, les directions dérivent pour finalement venir se ramifier. C’est aussi l’idée de rhizome, chère à Deleuze et Guattari (dans Mille Plateaux) et reprise par Édouard Glissant dans sa pensée archipélique. Des îlots se forment ainsi entre les structures, dans des jeux d’éclatements et de glissements du fond à la forme, faisant état de passages entre la spontanéité du geste et les procédés techniques de superpositions, de répétitions, d’agglomérations et d’effacements.

L’espace se stratifie et le temps s’allonge enfin dans la série Purgatoire (2016-2020). Dans ces peintures, les éléments picturaux s’isolent, flottent ou se rencontrent jusqu’à créer un embryon de formes, de figures, d’architectures. Les toiles révèlent ainsi des stigmates en surface, s’évaporant parfois sous les repentirs. Elles s’élaborent par « stations », comme un écho au religieux – également prégnant dans la culture créole –, le purgatoire évoquant ce point d’étape, cet « entre-deux ».
« J’accumule des traces, je dépose de la matière en proportions différentes, au fur et à mesure ces traces deviennent des signes et le principe de “paréidolie” (où le cerveau reconnaît des formes anthropomorphes ou zoomorphes dans l’informel) guide en partie la composition des tableaux. »

La peinture de Cristof Dènmont, par le prisme de la toile comme surface de projection intuitive d’une île et de son imaginaire, nous invite ainsi à reconstituer par le biais d’indices visuels le sens, l’image ou l’histoire qu’elle contient.

Leïla Quillacq

Station 220118, 2018
Huile sur toile, 170 x 190 cm.
Collection Ville de Saint-Pierre
Station 281219, 2019
Huile sur toile, 120 cm x 120 cm.