Kako

Par Leïla Quillacq

2020

« J’ai senti mes poumons gonfler sous l’effet du paysage1 . »

Kako grandit dans un milieu agricole, au milieu des champs de vétivers et de géraniums. Son rapport intime à la nature, aux racines et à la terre, comme ce qui perdure et tente de résister dans l’espace et dans le temps, façonne ses productions. Écorces, veines, branches ou troncs s’immiscent dans l’image et véhiculent cette idée d’une puissance fragile du vivant. L’arbre est ainsi un leitmotiv, protagoniste principal d’œuvres accrochant le regard au premier plan et appelant à une réflexion à la fois esthétique et poétique de ce qu’il incarne : majesté et humilité, liens, origines, sacralité et transmission. N’apparaissant jamais en entier, comme les vues parcellaires et réminiscentes des paysages défilant au bord des routes à travers les vitres, l’arbre est l’élément qui fait barrage à la vue, en même temps qu’il appelle un ailleurs.

Depuis 2009, Kako entreprend un travail au long cours intitulé Le tour des origines d’un nouveau monde. Par étapes successives faites de voyages et de rencontres, et à travers un travail de recherches libres et intuitives, il interroge la constitution de l’appartenance réunionnaise dans sa diversité et sa pluralité. Naissent ainsi des séries de tableaux aux techniques mixtes – Made in China (2011), Made in India (2013) ou Madécasse (2016-2020) – qui relatent d’impressions visuelles dans des compositions resserrées faisant le focus sur les surfaces, les textures, les couleurs. En arrière-plan, icônes ou objets, déchets, façades, babioles, affiches ou enseignes nous informent sur les pratiques quotidiennes, culturelles ou cultuelles, des espaces traversés. Des motifs graphiques apparaissent parfois en surimpression, recouvrant la surface en transparence, comme autant de calques filtrant la lecture et nous plongeant dans les histoires et les contes, modernes ou légendaires, de ces territoires indo-océaniques. Le visible et le fantasmé se mêlent ainsi dans un jeu de métissages formels, graphiques et plastiques.

Pour l’artiste, l’arbre est à la fois ce motif qui permet de « créer du lien au niveau esthétique et formel » et cette « source inépuisable de variations et de déclinaisons graphiques et plastiques qui fait le pont entre réel et imaginaire ». De ces expériences appelant une forme de quête originelle, de généalogie de l’île et de ses ramifications, l’artiste tire également des portraits. Pour lui, il s’agit de « [s’]imprégner, [d’]essayer de sentir et de comprendre ce qui fait lien, ce qui fait singularité ». Puis, par la création, « de retrouver, retoucher, revivre cette relation parfois fugace dans la rencontre avec l’autre ». Les œuvres de Kako creusent ainsi des sillons propices à se reposer la question des identités singulières, dans leurs liens existentiels à l’autre et à l’ailleurs – et de citer Gauguin à travers elles : « D’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ? »

2013
Série Le tour des origines d’un nouveau monde - Made in India
Impression sur toile, encre, acrylique, 97 x 129 cm.
  1. Sylvia Plath, La Cloche de détresse, Gallimard, 1987.