Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Derrière le paysage

« Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent »
Michel Corajoud, paysagiste

À Christine Espesson. Fleur inouïe dans notre jardin tropical. Paysagiste [ 1960-2009 ]

DERRIÈRE LE PAYSAGE… LE MIROIR OUBLIÉ

Séquence 1

« L’Homme interroge de plus en plus l’espace dans lequel il vit. Prend-t-il conscience qu’il fait lui-même partie intégrante de cet espace-Terre, une simple granule magmatique en évolution dans l’univers ? Il a donné mille définitions à ce qui l’entoure : de la lave à la roche volcanique, de l’humus aux arbres, avec leurs cimes interrogatrices.
Ses observations arithmético-scientifiques, ses investigations sentimentales au sujet de ses propres actions sur la terre, dénotent un sentiment de culpabilité mélangé à des peurs longtemps contenues.
Ce comportement éclaire d’un nouveau jour le vieil autisme entretenu depuis le fond des âges.

J’observe cet homme, animal-encéphale comme moi, pourtant doué d’intelligence et d’amour. N’a-t-il pas oublié le vieux sentier qui menait à sa grotte, à sa demeure construite avec le bois d’une forêt jadis somptueuse, au filet d’eau insignifiant du torrent débordant de vitalité et de remous ?

Son étrange comportement vis à vis de cette terre qui le porte sur son dos depuis qu’il s’est mis debout s’est mué en un réveil brutal. L’amertume aussi forte que le degré d’impuissance. Il scie la branche avec délectation afin de satisfaire ses besoins insignifiants, remplis d’un orgueil maladif, pour ce prêt à consommer.
Une multitude d’actes obsessionnels à l’origine d’objets médiocres remplissent ses rêves les plus fous pour un avenir de sa planète qui ne laisse rien présager de beau.

…….. Alea jacta est ……..

Séquence 2

Année 1994. Sur une proposition du Fonds d’art contemporain de La Réunion dirigé par Marcel Tavé, le projet « route du Maïdo » recevait des artistes locaux et internationaux pour une intervention dans le paysage vers le grand escarpement, haut lieu de l’esclavage et du marronnage.
Paysage pittoresque, tourmenté par un relief accidenté, volcanique, déchiré par le cirque de Mafate.
Paysage composé où se mêlent des zones naturelles de différents aspects : secs, rugueux, désertiques, rempli de cavernes, tout cela séparé de vallons verdoyants. La caverne de madame Desbassyns, la tombe du roi Phaonce en disent long sur l’épisode tragique de cette région. Ici le paysage porte les stigmates de l’histoire… C’est un cœur ouvert pour les yeux du marcheur observant simultanément deux espaces : le Temps et la Géographie.
L’œuvre : Territoire du Maïdo, Incision, Arrachement derrière le paysage rend compte d’une histoire tragique entre le corps humain et la géographie du lieu. L’incision faite par la main artiste dans le sol près de la maison (grotte d’origine) fait basculer en un battement de cils ce paysage domestique, calme et sensuel dans son histoire au passé tragique.

L’œuvre raconte, décrit, expose et relate les faits passés. Miroir d’une réalité trop vite effacée, elle revitalise l’image du paysage et agit à sa réhabilitation identitaire.

Malgré les images embrumées de notre histoire, la topographie de notre île, dans sa tourmente inédite crie l’exacerbation des contradictions et les brutalités du passé.
Elle reste un théâtre où les signes gueulent de leurs messages pour nous inciter à la vigilance. »

Jack Beng-Thi, 2010