Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Où est le corps ?

« ” Cherche si, dans le tableau que tu veux faire, il y a une teinte encore plus foncée que celle-là, indiques-en la place et plaque cette teinte avec ton couteau ou la brosse, elle n’indiquera probablement aucun détail dans son obscurité. Ensuite attaque par graduation les nuances les moins intenses en t’essayant à les mettre à leur place, puis les demi-teintes ; enfin, tu n’auras plus qu’à faire luire les clairs1

Cette phrase s’identifie à un acte de création, un processus de pensée, une recherche à l’intérieur de l’espace habité du sombre et du clair. Tout débute au fond de la grotte dans un espace sombre, espace du vide et du nu.
Le parcours suppose un long chemin vers la lumière. L’arrachement et la projection de nos corps dans le temps et l’espace inaugure la ” nuit ” de la pensée.
Le grand récit du corps commence au départ du millénaire où les identités ont été fracassées. Il a résulté un éloignement des pairs, des repères et des arbres totems, des grottes du lieu d’origine ” J’ai erré longtemps dans des territoires en la trace carbonisée de l’histoire “2
La décomposition physique assure la perte des repères où le vide extrême va accompagner inexorablement le déroulement mécanique de la douleur-névrose collective ; ” Dans la mouvance des non-dits, j’arpente en soufflant le royaume des hommes tout-couleur, devant la fureur des chiens hurleurs, je capte les morceaux du réels malgré le silence tragique de nos pères ” 3 .

Où est le corps ?

L’homme en délire interroge son corps, l’ausculte, le dissèque. Son esprit le somme jusque dans son antre infinie. Sur fond de contestation globale, on quantifie les strates, on énumère et définit les drames, “ J’habite des vagues surchargées d’armes jetées dans des trous féroces des profondeurs abyssales ”4 .
Dans cette brûlure du temps, le corps doit devenir un médium d’expression d’une réalité à vocation universelle et identitaire. Cette réappropriation intègre une nouvelle sacralité de l’être-identité, une sorte de profondeur où le corps physique s’active imaginant une image de paysage. C’est un moteur de l’Existant par une transmutation des douleurs enfouies.
Un triptyque au féminin s’exprime dans l’errance du corps en souffrance, en recherche d’identité entre deux actes de création ; où la sublimation où l’acte pictural restitue en fragmentations les images corps-parcellaires, gestes-mémoire en devenir qui s’agitent au coeur d’un chant de transe.
Les corps aux mémoires meurtries s’élèvent par mouvements en suspension dans l’air, le rayon solaire et le magma.
C’est un va et vient du mouvement qui dévoile d’autres dimensions de la mémoire ancestrale de l’exil.
“ Je m’obstine dans nos formes pensées à roder l’objet délivrance dans le plissement granitique loin de la coupure fémémorale du temps. ”5

Jack Beng-Thi, 2003

  1. Courbet à ses élèves dans Le mythe d’Icare de André-Comte Sponville, édition Puf, 1993
  2. Jack Beng-Thi, Territoires-Mémoires, texte poétique, 1991
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