Piédbwa, l’arbre manifeste

Par Colette Pounia

2020

Forêt d’hiver, 2020
Vue de l’exposition Piédbwa, l’arbre manifeste, commissariat Colette Pounia, musée Léon Dierx, Saint-Denis, La Réunion, 2020.

La nature est nous

Le « piédbwa » désigne en créole réunionnais à la fois, l’arbre, sa matière et son rôle dans l’écosystème qu’il maintient et régénère.

Avec l’installation Piédbwa, l’arbre manifeste, Kako re-présente des arbres dans différents états pour exprimer le rapport ambivalent au paysage, à la fois contemplatif et destructeur, et pour inviter à recréer le dialogue avec la Nature.

Une question préoccupe l’artiste : « Seront-ils toujours là quand nous disparaîtrons ? » Ce premier vers de Forêt d’hiver, poème de Léon Dierx, déclamé dès l’entrée dans l’exposition, interroge sur la relation de l’homme à son environnement, sur ce qui doit être sauvé : la nature par l’homme ou l’homme par la nature ? Notre position anthropocentrique au monde ne doit-elle pas être renversée ? Les œuvres témoignent ainsi des craintes et des espoirs qui s’entremêlent chez l’artiste.

Piédbwa, l’arbre manifeste rassemble et présente des œuvres monumentales qui transfigurent un espace muséal blanc en un territoire arboré à arpenter. Elle attire l’attention sur le tableau final, Crépuscule des Dieux, représentant un scénario apocalyptique, de fin du monde. En amont, sont dévoilées les étapes préparatoires du processus de création avec : Forêt d’hiver, œuvre constituée d’arbres morts ou figurés, d’un côté, et Arbres carbones, dessin au charbon, de l’autre.

Par le biais de la représentation, Kako veut renouer le dialogue avec l’arbre et différer sa disparition. Il l’illustre et le matérialise avec des moyens plastiques de déconstruction pour reconstruire le « piédbwa », la forêt, la nature.

Ainsi, au centre de l’exposition se donne à voir, en une pièce unique, la déconstruction-reconstruction d’un arbre. Sont assemblés des tronçons de tamarin et des pièces métalliques à l’image d’une colonne vertébrale. Cette sculpture-assemblage, intitulée Piédbwa, rappelle certaines œuvres du mouvement italien Arte Povera, art pauvre, qui juxtapose des matières sobres et antinomiques, brutes et usinées, naturelles et artificielles. Le geste artistique d’emboîter un élément naturel et un artefact industriel, ou technologique, est symbolique. Il s’agit de produire du lien. L’artiste insiste sur cette nécessité en attribuant à l’aussière, cordage d’un jaune vif servant à amarrer, le dessein d’un nouveau territoire où la nature se « re-naturerait ».

Ce dessein est repris dans les encres rouges des cartes micellaires où fourmillent de minuscules fractales d’une possible renaissance. L’artiste veut sensibiliser sur l’urgence de redessiner et de rêver à des territoires fertiles, de la couleur du vivant.

La déambulation dans la forêt dévoile la tâche qui incombe à l’artiste : rendre visible l’invisible, exprimer le réel et pas seulement imiter la nature. Le Crépuscule des dieux n’est donc pas une représentation fidèle d’un morceau de nature mais plutôt la peinture romantique et expressionniste du cri de plus en plus fort de la nature qui brûle. Invitée par Kako, Marie Birot livre à qui veut l’entendre son point de vue sur ses raisons d’être au monde :

« J’appartiens à ce monde pour des raisons simples, réparer, si je peux, si je pouvais réparer le lien entre les essences, séparer les incendies et les grands ensembles, les absences des représentations, faire le vide cartographique et attendre que le murmure des toponymes nous reparle de zéro » (extrait d’un poème en prose).

Encres micellaires, 2020
Encre sur calque polyester. 95, 78 ou 95 x 120 cm.
Vue de l’exposition Piédbwa, l’arbre manifeste.

Voir la page Piédbwa, l’arbre manifeste consacrée à cette exposition commissariée par Colette Pounia.