Moroni
musique de Richard George
(2002, 3 min environ)
« Jusqu’à présent, j’ai tenté d’apprendre à procéder sans idée prédéfinie, sans chercher à trouver un sens hors de l’événement, du phénomène que je filme. Aux Comores, pour la vidéo « Moroni », je désirais prendre les choses comme si elles apparaissaient, je n’attendais rien de particulier de la réalité. Je tentais juste d’être plus présent, faire l’image avant son idée. Une citation de Hou-Hsiao-Hsien retranscrite par Philippe Tesson pour le catalogue du festival de La Rochelle (1988) pourrait peut-être illustrer mes intentions : « Filmer ce n’est pas remettre en scène, reproduire une image, c’est attendre le moment, trouver le lieu (cadre, angle, prise de vue) où le monde, le réel, toujours déjà là, donne le sentiment de s’offrir à vous pour la première fois. Filmer, ce n’est pas jeter un oeil sur les choses, mais l’inverse, c’est-à-dire répondre à la demande de regard du monde et la satisfaire en lui faisant le cadeau d’un plan. » Pour « Moroni », qui dure trois minutes, j’ai passé trois mois aux Comores. Et durant ces trois mois, j’ai filmé quasi constamment. En tenant compte du hasard, je m’éloignais, au fil des jours, de mes idées prédéfinies. J’errais, et pendant que je prenais mes images, des tensions d’ordre politique emplissaient l’atmosphère, occupant mes états d’âme : de jeunes habitants de Moroni manifestaient contre le pouvoir en place. Je n’ai pas voulu traiter de sujet politique. Je ne crois pas être capable de penser en termes de sujets à traiter, je n’ai pas cette rigueur. J’ai filmé des affrontements entre des jeunes de Moroni et l’armée du colonel, alors dictateur, Azali Atoumani. Cependant, je n’ai pas gardé ces images, car leur aspect renvoyait à des images dominantes et elles ne reflétaient pas ma perception intime des événements. Ces images d’affrontements étaient d’ordre spectaculaire. Et au moment où je les prenais, je les ai réellement perçues comme étant spectaculaires. Elles convenaient davantage à une diffusion télévisuelle, j’ai d’ailleurs failli les diffuser à la télévision locale. La seule image de ces troubles sociaux que j’ai gardée au montage est un feu de barricade qui apparaît comme un contrepoint à l’immobilité du reste de la vidéo. L’ensemble de la vidéo se déroule face au port de Moroni. Je ne me souviens pas avoir filmé toutes les images retenues au montage le même jour. Mais l’essentiel de ces images se situe à proximité ou au moment des manifestations. L’apparition en fondu enchaîné de la fumée et des flammes de la barricade en milieu de film divisent la vidéo en deux parties. Durant le film, un visage de femme sert de point d’ancrage. »