Sans titre
« L’anthropologie n’étant pas mon domaine, je peux peut-être me permettre de dire des généralités. Du moins je peux peut-être me permettre de vous donner des impressions qui me sont venues récemment à propos du travail dit d’anthropologie.
Il y a trois jours je regardais, dans la chambre de mon hôtel, une émission à propos du succès de Okuribito aux Oscars. En regardant les images montrant le principal protagoniste du film embaumant des défunts, une idée m’est venue, l’idée qu’il s’agissait là par certains aspects d’un travail proche de celui d’un anthropologue ou ethnologue. Il arrive peut-être souvent dans le travail d’anthropologie, d’ethno-
logie de se trouver face à des traditions culturelles en déclins, dont on fixe la mémoire en embellissant, en rendant plus claires les lignes de leur corps parfois mourant, ou déjà mort, afin que les membres de
la société puissent encore les contempler.
C’est peut-être particulièrement le cas en ce qui concerne les aspects de la culture orale sur lesquelles je me suis penché. L’idée qui m’est venu par Okuribito me mena à une autre analogie qui me parut plus juste. Je pensais, pour en rester à des référents japonais, mais cette fois dans un domaine plus proche de celui qui nous intéresse ici… Je pensais à ce conte moyenâgeux à propos d’une princesse qui aimait les chenilles, je pensais aux pôles qui composent ce conte. En effet dans
ce conte la princesse qui aimait les chenilles est opposée à celle qui collectionne les papillons. Tandis que la princesse qui aime les papillons fixe pour l’éternité la beauté éphémère de nombreux papillons
dans une collection mortuaire, la princesse qui aimait les chenilles a contrario s’intéresse bien plus à la beauté à travers l’idée de métamorphose : la beauté du “devenir chrysalide puis papillon de la chenille.” La beauté qui plaît à la princesse qui aimait les chenilles n’est pas fixée dans le temps, elle est une forme insaisissable, une forme changeante.
Je m’attarde sur cette idée car il me semble que le conte oral fonctionne essentiellement sur ce mode, il est une forme en constant changement, la culture orale fonctionne sur la variation à l’infini d’histoires archétypales, il n’y a pas de référents fixés dont la beauté ferait autorité. Le conte est soumis à la psychologie et à la culture du conteur et aussi à l’évolution de sa société. Le conte à l’oral est en constant devenir. C’est là ce qui fait sa qualité, mais aussi sa fragilité face aux cultures modernes dominantes qui sont des cultures qui fixent les formes littéraires.
La volonté de conserver les contes oraux aux Comores est assez récente, cette politique est même réellement lisible que depuis la création du CNDRS (centre national de documentation et de recherche scientifique) après l’indépendance, en 1979. Il s’agit donc plus d’une volonté scientifique, anthropologique que littéraire qui s’est penché en premier lieu sur le cas du conte oral.
Aujourd’hui dans les grandes villes comoriennes en prise à la modernité certains craignent que ce ne soit sur le corps d’un mourant que se penche cette volonté de conservation. La chenille vivante
devient-elle une collection de papillons morts ? Je n’ai pas le désir, ni le pouvoir de répondre à cette question qui me semble exagérément alarmiste. Mais la formule me plaît.
Il sera souvent question dans cette communication, de “folklore” des Mille et Une Nuits. En effet la forme des contes change constamment à l’oral. Souvent selon l’humeur ou la culture du conteur, le conte subit de nombreuses transformations. On assiste souvent à des fusions entre diverses histoires ou alors à des changement de structure de la trame du récit. Les éléments les plus persistants restent alors les personnages ou motifs qui peuplent les contes des Mille et Une Nuits.
Ce texte est repris de l’introduction de la communication faite au séminaire « Autour du cycle des Mille et Une Nuits dans l’Océan indien » organisé à l’ILCAA le 6 mars 2009 sous le patronage du
Centre de Resources Informatiques à l’ILCAA (l’Institut de Recherche sur les Langues et Cultures d’Asie et d’Afrique à l’Université Nationale des études Étrangères de Tokyo) ».