Xavier Daniel
Par Céline Bonniol
2013
« Je projetais d’être astrophysicien », confie Xavier Daniel, artiste plasticien vivant à La Réunion, dans un entretien d’avril 2013. Né en 1968, c’est un parcours scientifique qu’entreprend en premier lieu le futur artiste, des études universitaires qui le conduisent à une maîtrise de sciences physiques. Pourtant dès l’adolescence Xavier Daniel dessine, photographie et a toujours baigné dans un univers visuel avec un père architecte.
C’est en arrivant à La Réunion en 96 et suite à un projet professionnel avorté que Xavier Daniel entre à l’école des Beaux arts de La Réunion et décide de se jeter à corps perdu dans la pratique artistique. Il y restera trois ans jusqu’à l’obtention de son DNAP. Ce temps de formation, qui intervient à un moment de maturité, est une étape décisive, une période d’absorption et de découverte qui affine petit à petit le début d’une démarche de plasticien. Trois années de touche à tout à expérimenter les techniques et les matières, à découvrir l’histoire de l’art. C’est à ce moment qu’il développe un intérêt pour le volume et la mise en espace qui trouveront un écho dans sa future production, mais aussi qu’il commence à aborder la pratique artistique comme vecteur de sens. Xavier Daniel se saisit alors de l’art comme d’un langage s’adressant aux affects, lui permettant d’exprimer des idées que les mots ne peuvent décrire.
Sorti de l’école, l’artiste est résolu à vivre uniquement de sa pratique, il trouve dans ce choix de vie l’équilibre recherché entre un engagement humaniste et philosophique et la volonté d’avoir une production formelle. Les premières expériences d’exposition de Xavier Daniel sont une exposition-installation collective à l’espace Jeumont intitulée Cheminement(s et une exposition à la galerie Noir et Blanc où il partage le lieu avec l’artiste Jean-Claude Jolet. En tant qu’initiateur et co-organisateur de l’événement Cheminement(s, Xavier Daniel développe un goût pour la mise en place de projets dans lesquels le sens du collectif et du partage prennent une large place. À la galerie Noir et Blanc, fidèle à une pratique bidimensionnelle, il présente des tableaux alors que son collègue occupe l’espace avec des pièces en volume.
Xavier Daniel ne cessera jamais ses recherches picturales, c’est dans la peinture et le dessin qu’il trouve l’expression indicible d’une certaine appréhension du monde. Pourtant ces productions ne sont pas toujours présentées au public qui découvrira l’artiste à travers des installations construisant au fil du temps un axe parallèle de sa démarche.
Explorer le chaos primordial
Entre 2000 et 2005, l’artiste voyage. Cette volonté d’aller à la rencontre de l’ailleurs répond à un besoin de comprendre et de s’imprégner des cultures originelles de la société réunionnaise où il a élu domicile. Depuis aussi loin qu’il s’en souvienne, Xavier Daniel nourrit une vision cosmogonique du monde. Mythes, voyages, partages de cultures, liens entre les peuples, respect de la vie sont des notions au cœur de la philosophie de l’artiste. C’est dans l’écriture d’Adae, un essai qui demandera une gestation de trois années, que l’artiste se purge des réflexions qui l’animent.
Construire l’inattendu, faire réagir
De retour à La Réunion en 2006, Xavier Daniel est disponible pour la pratique plastique. Il fonde alors le mouvement « Art Marron » avec Frédéric Lambolez et Guillaume Lebourg deux autres artistes de La Réunion. Art marron répond à un besoin d’exposer en dehors des lieux institutionnels. À travers cette démarche, les artistes souhaitent interroger deux aspects du monde de l’art d’aujourd’hui : d’une part le manque de lieux et de visibilité pour la diffusion des arts plastiques et visuels contemporains qui conduisent les artistes à trouver des alternatives et des contextes d’exposition autres. D’autre part susciter l’interpellation du spectateur. Les œuvres Art Marron sont éphémères, elles apparaissent là où on ne les attend pas et proposent de nouvelles partitions pour lire des fragments de notre environnement quotidien. Ce sont des œuvres in situ, elles s’intègrent sur un site et interrogent les rapports que les hommes entretiennent avec ce site.
C’est également dans cette période que Xavier Daniel commence les ateliers auprès du jeune public scolaire. La situation de transmission qui s’y joue est primordiale selon l’artiste. Il y trouve la dimension de l’échange et de la communication, élément fondamental dans sa pratique. La notion de transmission alimente une esthétique relationnelle inhérente à la démarche de l’artiste qui s’en nourrit pour véhiculer du sens et des contresens. Pour Xavier Daniel, l’art est une possibilité de faire réagir le spectateur, d’interférer avec ses habitudes et certitudes, de l’amener à prendre conscience du monde dans lequel il vit, et à « changer de paradigme » comme il aime le dire.
Sensibiliser le regardeur à la magie du monde vivant…

Tirage photographique (3 ex), aluminium sur Dibond, 80 x 120 cm.
2010, Xavier Daniel est invité en résidence au Conservatoire Botanique National de Mascarin. En tant que praticien de l’in situ, c’est naturellement qu’il élabore un projet artistique en rapport avec le site qui l’accueille. Admirateur d’Andy Goldsworthy, l’artiste pense ne rien avoir à donner au Land Art de plus que l’artiste écossais a déjà su le faire, pourtant, de l’imprégnation de ce jardin étonnant, Xavier Daniel va tisser une mythologie, révéler dans une narration poétique le cycle de la vie. C’est la naissance des Esprit[s Sentinelle[s, simples morceaux d’écorce de bambou, devenant de petits personnages qu’on pourrait croire sortis d’une histoire extraordinaire. Fine observation de l’écosystème et des formes qu’il engendre, économie de moyen et imprégnation du lieu, mettent en exergue le potentiel merveilleux de notre rapport à la nature, lorsqu’on sait regarder et rêver.
Ces trois années de résidence vont se conclure par la réalisation d’une pièce majeure intitulée Vanité honnie. Un ensemble de 293 nids de belliers disposés dans l’espace, en suspension grâce à des fils de nylon, crée un volume représentant un crâne. Ce travail produit une double référence à l’histoire de l’art et à la nature.
Vanité honnie ou « la commande de Gaïa »
Un assemblage de brindilles forme un nid, un assemblage de nids forme un crâne…
Coproduction de l’artiste et de la Nature, Vanité honnie se présente au spectateur comme une mise en abyme de la vie et de la mort.
La vanité est un genre de nature morte. Depuis la Renaissance, des crânes viennent intégrer des tableaux, ils ont une valeur symbolique forte, ils renvoient le spectateur à sa condition de mortel rappelant l’inéluctable écoulement du temps. Cette fascination/angoisse du temps qui passe est récurrente dans l’histoire de l’art, l’iconographie de la vanité a été réactualisée, revisitée à différentes périodes. Xavier Daniel poursuit ce chemin, en proposant une pièce imposante qui emprunte des composants à la nature. La matière première de cette installation sont des nids de belliers qui viennent dessiner dans l’espace et en volume un crâne aux grandes proportions.
C’est ainsi tout le cycle de la vie qui est évoqué dans ce travail : un ensemble de nids, écrins du vivant, lieu de l’éclosion de la vie, s’assemblent pour former l’image d’un crâne, nous renvoyant à l’idée de la mort.
Xavier Daniel extrapole la dimension moralisatrice de la vanité classique, il détourne le symbole pour rappeler à l’homme que la nature est précieuse et nécessaire à sa présence sur la terre.
Cette pièce, dont la réalisation répond à une rigueur mathématique nous apparaît légère et subtile. Elle fonctionne aussi comme un message que Gaia voudrait transmettre et dont l’artiste serait le médiateur.

Médiathèque du Tampon, La Réunion.