Brandon Gercara

MÀJ. 25.10.2022

Conversations

Série de photographies

Les textes sont exposés en regard des photographies, ils sont issus d’entretiens avec des membres de la communauté LGBTQIA+.

Joseph83, 2019

« Mon sexe assigné est femelle, mais je suis peut-être intersexe ou chimère, genderfluid masculin/neutrois.

Si je devais me présenter, je suis neuroatypique, magicien, transgenre, créole réunionnais acculturé, anarchiste écologiste, et je pourrais ajouter pansexuel mais c’est pas ce qui me caractérise le plus je pense.

Même si ça a généré longtemps de gros questionnements, j’ai presque pu me définir par toutes les sexualités ; vu qu’avec ma réflexion et la transition mon statut a changé et que j’ai assumé ma part attirée par des mecs tardivement.

Il me reste essentiellement deux étapes, une que je recule par militantisme et l’autre par pauvreté. La modification de la mention du sexe à l’état civil, et la chirurgie de réassignation sexuelle. J’ai subi dans ma chair et ma santé mentale la conséquence directe des oppressions, tout en ayant une face de traître bien blanchi qui peut “réussir sa vie”, la bonne grosse tête de colon.

J’ai du mal à me positionner à propos de mon origine ethnique, c’est un peu le bordel ; mais ce à quoi on m’assigne, c’est “Yab” je crois.
Je suis sorti blanc mais je suis un genre de “supermétis”. Si je me fie au côté qui m’a touché directement culturellement, c’est “zoreil/malgache” et “créole d’en bas”.

J’ai galéré à me trouver dans ce foutoir. »

Joseph83


Nilesh Muktananda, 2019

« Mi lé métis, mé an fin kont kan tout domoun i wa a mwin dann somin, i wa a mwin kom in malbar. I apel a mwin le ti malbar sèk, le ti malbar pédé.

Ma mère est indienne, mon père est yab. Pendant longtemps j’ai eu du mal à me définir ; je pense que j’avais peur.

Dans ce milieu hindou, c’est un peu compliqué de faire un coming-out. Et puis pendant longtemps ça m’a donné du mal à m’accepter, la religion peut poser problème lorsqu’elle te dit quoi penser.

On m’a toujours catégorisé quand j’étais jeune ; les gens projetaient soit de la tendresse et de l’amusement soit du malaise et du déni. Forcément, c’est là où j’ai eu des difficultés à me définir. »

Nilesh Muktananda


Uriel Luc, 2019

« Kan mi té ti, ma di mon papa ke mi té yèm in garson. Li la asiz in kou, la parti grat in pé la kour, la di a mwin alé binyé nou sava la sapèl. Si le moman ma pa compri mwin, somanké sété pou èd a mwin vu ke mi té pou pléré.

É mi rapel sa dann tan i té dépoz a mwin la kaz mon tonton kan banna té sava légliz, depwi ma di ke mi té yèm mon kamarad la amèn a mwin laba sak dimans, ziska lèr. Banna la di amwin fo que mi konpran depwi tan pti. Dann tan la mi té konpran pa sa mwin, rienk la minm mi mazinn sa. »

Uriel Luc


Shei Tan, 2019

« Je suis métis créole/indien, avec identité religieuse islamique, homosexuelle queer drag, vivant en métropole depuis cinq ans.

J’ai été oppressé par rapport à mon orientation sexuelle, mon physique, ma couleur de peau, mes origines culturelles, géographiques, les préceptes religieux qu’on m’a enseignés enfant, mes goûts, mes choix, ma vision de la vie.

Pas assez blanc, pas assez indien.

Je navigue dans un entre-deux constant. Peut-on parler de minorité absolue ? »

Shei Tan


Ben Dabenda, 2019

« Je me considère comme Réunionnais.

Je pense que le langage a deux facteurs, celui de la communication et celui de la culture. Le fait d’avoir grandi en parlant créole, malgré le fait que ce ne soit pas à la maison, j’ai embrassé la culture réunionnaise et je me suis défini dans ce langage aussi.

Je suis d’origine tunisienne, mes parents se sont installés à La Réunion lorsque j’avais quatre ans. J’ai grandi dans la langue arabe à la maison, en français à l’école et en créole dans la vie.

Je crois qu’il y a beaucoup de colorisme à La Réunion et un peu de racisme intériorisé ; le blanc est successful et les Comoriens sont victimes de remarques violentes.

Je trouve intéressant comment la question virile se décompose à La Réunion. Il y a toujours un rapport au corps, lié à la température et à la nécessité du muscle et comment il se traduit différemment selon les sphères. Mes potes se rasaient les jambes mais c’était ok, ils s’épilaient les sourcils, mais pas trop, sinon ça faisait “PD”.

Je me rends compte que la virilité s’est construite dans une soustraction, ne pas apparaître comme PD et efféminé. J’avais peur auparavant d’apparaître comme “PD” alors que je pouvais me dire pro-LGBTQ.

Et je pense de plus en plus à quel point c’est une perte pour les hommes de se fermer tout un prisme d’émotions et d’actions car ça fait trop “efféminé”.
Je pense aussi que tous les mecs autour de moi en souffrent à un certain degré. L’injonction “d’être un Zhomme” est un fardeau.

Dans la culture islamique dans laquelle j’ai grandi, la question de l’homosexualité était impensable. Aujourd’hui j’essaie de déconstruire ma sexualité et de tenter de la voir comme un prisme où je ne me cantonne pas à une identité. Je me définirais donc comme bisexuel. »

Ben Dabenda


Conversations, 2019
Série de tirages numériques HD (3 ex), 108 x 155 cm.


« Dans cette première série, il s’agit d’archiver les paroles de celleux qui font partie des minorités sexuelles et de genre vivant l’intersectionnalité à La Réunion. Il s’agit d’incarner les différentes discussions avec les personnes de la communauté queer à la manière drag ; il est donc question d’exagérer les multiples assignations afin de les renverser : Judith Butler explique par son concept de « performativité du genre » que la figure du drag prouve au genre qu’il peut être joué, théâtralisé, performé. Il s’agirait de parler du genre, de la race, de la classe comme d’une construction sociale.
La visibilité de ces corps oppressés est nécessaire, mais reste très difficile dans un contexte de haine latente envers la diversité sexuelle et de genre. Il faut alors fabriquer de nouvelles stratégies : visibiliser sans révéler.
La pratique du drag où il s’agit de performer un autre corps que le sien permet de garder l’anonymat de celleux qui participent au projet. »

« Lé kestyon archivé lo bann kozman bann moun i fé parti bann minorité seksuèl et de janr ki viv lanterseksyonalité La Rényon. Lé kestyon inkarn lo bann diféran kozman ek lo bann moun kwir dann in fason drag. Sé ta dir ekzajéré bann « assignations » pou ranvèrs ali : Judith Butler i ésplik dann son consèpt « performativité » dur genre ke lo drag I proud le janr ke li pe èt joué, téatralizé, performé. Lé kestyon de koz lo janr, la ras, lo clas kom in fabrikasyon sosial.
La vizibilité so bann kor oprésé lé nésesèr, mé i rèt konpliké dann in landrwa ousa néna la èn kont la diversité seksuèl é de janr. I fo donk fabriké bann nouvo stratéji : Vizibilizé san révélé.
Lo pratik drag ousa lé kestyon de perform in ot kor ke la siènn, i permèt dgardé lanonima de sak i particip au projé. »

Brandon Gercara

Ben Dabenda, 2019
Joseph83, 2019
Nilesh Muktananda, 2019
Shei Tan, 2019
Uriel Luc, 2019