Clotilde Provansal

MÀJ. 03.12.2024

Trachéoscopies

Trachéoscopies, 2020
Série de 12 estampes à l’eau forte sur papier Hahnemühle, 20 x 20 cm x 12.
Édition limitée à 10 exemplaires dont 2 hors commerce et 2 épreuves d’artistes.


Exposition Re-Bird, commissariat Colette Pounia, Artothèque de La Réunion, Saint-Denis.


Trachéoscopies

« Douze gravures en noir et blanc, apparaissent à travers des petits œil-de-boeuf. Elles invitent le visiteur à se rapprocher et découvrir des fragments de paysages organiques – comme habitées par toutes formes du vivant à l’instar de Tout brûle dans l’heure fauve –, mis en abyme dans leurs multiples encadrements. L’œil effleure leur surface texturée, y reconnaît un globe oculaire, une étoile, un fruit, des morceaux de peau, de chair… Le jeu des clairs-obscurs les sculptent, leur donne de la profondeur. L’œil y pénètre dans les espaces intérieurs et interstices sombres ou éclairés. Ces images lunaires nous laissent aller à notre imaginaire.
Elles proviennent de l’imagerie médicale obtenue par une trachéoscopie, un examen de la trachée à l’aide d’un endoscope pour regarder, par l’intérieur, le canal de la respiration. Le tube optique a la capa- cité d’éclairer et filmer, grâce à une caméra vidéo, le voyage dans le paysage intérieur du corps et en retransmet les images sur écran. Trachéoscopie est donc issue d’un art vidéo médical. Après avoir extrait douze petites zones observées, elle les donne à voir autrement. Par le médium de l’estampe à l’eau-forte, s’opère une transmutation en images symbolistes.

Trachéoscopie révèle des petits mondes étranges et fantasmagoriques aussi séduisants que À l’horizon, l’ange des certitudes ou L’œil comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini de la série À Edgar Poe de 1882 par Odilon Redon. Les planches naturalistes des explorateurs du XVIIIe et XIXe siècles importent aussi à l’artiste, fascinée par les explorations à but scientifique, “ par ce quelque chose d’infini à explorer. Je réouvre l’espace, comme un moyen de l’imaginaire. L’espace clos du corps devient une terra incognita ” dit-elle.
Trachéoscopie serait un récit de voyage — à l’instar de Acclimatation — vers une terre étrangère, la trachée, pourtant familière. L’on respire, parle, chante avec elle.
Sans le titre, nous ne serions en mesure d’en saisir sa portée.
Nous nous enquérons des images intérieures de notre corps hautement technologiques en les regardant furtivement. Nous en demeurons éloignés, étrangers à notre propre corps, des Foreign Body, titre d’une installation vidéo de 1994 de Mouna Hatoum qui “ interroge l’effet des images médicales, sa résonance intime ”. En montrant des images endoscopiques de l’intérieur de son corps, elle voudrait “ traduire quelque chose du malaise du regard contemporain sur le corps. ” (Rémy Potier)
Trachéoscopie a peut-être pour but d’apaiser ce malaise et suggérer de nous faire connaître à nous-même en passant par une connaissance approfondie de ce qui fait le corps humain, de voir la magie de l’imagerie médicale : le chant de ce récit. »

Colette Pounia
Extrait des cartels de l’exposition Re-Bird, commissariat Colette Pounia, Artothèque de La Réunion, Saint-Denis, 2023.


« Clotilde Provansal scrute avec la même curiosité le corps du végétal et le cœur de l’humain. La question posée par la série des Trachéoscopies (gravures, 2021) est à la source de nos imaginaires : à qui revient la responsabilités de nos visions, d’où provient la scène primitive où la grotte éternelle délivre ses visions, les yeux flottant dans l’obscurité, les têtes d’animaux fantastiques, les visages de comètes (n°8)? Est-ce l’artiste, qui considère avoir représenté un choix d’ « images-coupes extraite d’une vidéo d’étude prise lors d’une trachéoscopie » ? Le spectateur, condamné à jeter l’œil dans un trou de serrure, à y contempler une scène archaïque : l’entrée d’une grotte, la lueur d’un feu sur la paroi d’un abri sous roche, d’étonnantes créatures qui immanquablement nous regardent, l’œil d’un monstre qui s’est approché de l’autre côté de l’œilleton, des êtres élémentaires dont la familière étrangeté nous méduse ? Comme si nous étions peuplés, d’une multitude, et de nous inconnue… »

Nicolas Gérodou, Métamorphoses du vivant, catalogue d’exposition Re-Bird, édition Artothèque de La Réunion, 2023.
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