L'île vaisseau, d'Esther Hoareau

Par Aude-Emmanuelle Hoareau

Texte critique

2015

« Sanctuaire, vidéo d’Esther Hoareau réalisée en 2010, est une fiction sans mots : deux enfants partent à la conquête d’un paradis perdu au milieu des étoiles, une île tropicale inhabitée.

Sanctuaire, 2010
Vidéo, 8 min.
Collection Ville de Saint-Pierre

Réinventer les points de vue sur l’île

Paniers de fruits tropicaux, cœur forestier dans lequel on chemine et se perd, végétation luxuriante, bassins d’eau douce où l’on se baigne, letchis juteux croqués à pleines dents, côtes léchées par la mer, anciennes coulées volcaniques … Esther Hoareau joue avec les clichés associés à une terre, celle de La Réunion, pour mieux les défaire, et réinventer nos points de vue sur l’île.
L’artiste superpose à ces clichés d’autres images issues du cinéma de science-fiction, et des fantasmes collectifs : la planète vierge, au milieu du cosmos … pas d’habitations, pas de véritables société. Des enfants qui jouent et c’est tout.
Par ces superpositions, nous sommes immergés dans des environnements étranges et planants, Un 2001, l’odyssée de l’espace (film de Stanley Kubrick) tropicalisé. Le continuum spatio-temporel est modifié. Le ciel étoilé en plein jour, des plans fixes en accéléré dans lesquels la lumière change et la végétation frémit, visages immobiles, émergés de l’eau, de deux enfants se ressourçant dans un bassin d’eau douce … la cadence de la vie a changé. Question de force gravitationnelle, peut-être.
Ce sentiment d’étrangeté est renforcé par la musique lyrique qui se substitue aux mots, puis le silence et le bruit doux des éléments, qui nous amènent à ressentir la chair de l’île, son souffle, hors des artefacts sociaux, dans le sanctuaire de l’imaginaire, là où habiter son monde peut prendre mille formes.
Des enfants marchent sur une ancienne coulée de lave et s’approchent de la mer étrangement calme. La surface de l’eau, bleu clair, est comme frappée d’une altération chromatique. La topographie de l’île devient martienne, sûrement toxique. Les enfants contemplent la mer sous une voûte étoilée se déplaçant lentement, image superposée à celle de l’île.
Impression d’immensité. L’île n’est plus vécue comme un élément de la terre, mais comme un vaisseau lancé dans le cosmos, à la conquête de l’infini.

L’île, comme sanctuaire de l’imaginaire

Et l’on est comme sur une planète nouvelle, un lieu d’ailleurs, une utopie, où l’on n’habite pas ou plus, par le biais les préoccupations quotidiennes, où l’on se tourne vers les étoiles, dont on est directement issu.
L’artiste joue sur l’idée d’isolement insulaire et ses contradictions. Par sa clôture physique, l’île nous oblige à nous tourner vers l’extérieur et à déployer une vision plus globale de notre existence. Nous sommes inscrits dans un ensemble, un cosmos.
Pour ce, et grâce à ses plans fixes, l’artiste dilate l’image jusqu’à l’extraire de son obligation de dérouler l’action. Image-rêve, sculpture du temps.
Les deux enfants explorateurs sont comme fascinés par les méandres de cette terre, ses éléments, continuateurs d’une humanité peut-être perdue : l’idée d’un renouveau, d’un recommencement du monde, à partir de la matrice de l’île, est posée.
L’île, qui se duplique dans des univers différents, creusets d’utopie, de décollages, est le sanctuaire des imaginaires. »

Aude-Emmanuelle Hoareau, 2015.


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