Traverse
Traverse est une résidence photographique de Romain Philippon et Thierry Hoarau, documentant le quotidien du cœur de l’île de La Réunion, en plusieurs étapes annuelles. Pour débuter ce parcours, Traverse s’est installé pour une année à la Plaine des Palmistes.
« Nous réfléchissons à une méthode populaire pour documenter la vie à La Réunion, et imaginons tous ses aspects, de la prise de vue à la diffusion. »
Romain Philippon
Traverse, depuis 2021
Série de photographies numériques, dimensions variables
Entre avril et décembre 2021, Thierry Hoarau et Romain Philippon ont installé leur atelier en centre-ville de La Plaine des Palmistes, dans un local mis à disposition par la commune. Ce dernier était ouvert au public 4 jours par semaine. Les habitants pouvaient y venir se faire tirer le portrait ou récupérer les tirages que les photographes avaient pu faire chez eux ou dans le chemin. Tous les mois, paraissait un numéro de Fey Sonj, un journal photographique papier de 32 pages, gratuit. Ce journal, édité chaque mois à 2000 exemplaires, fut distribué par leurs soins dans des lieux populaires de la commune de La Plaine des Palmistes. Une rencontre avec le public était proposée chaque mois lors de la sortie du journal, afin de présenter la nouvelle édition du journal, et d’inviter les habitants à questionner les photographes sur leur projet.
Le projet, intitulé Traverse, est d’abord une envie de développer un projet documentaire hors norme, emprunt de liberté et d’itinérances, et dont les sujets, multiples, viennent nourrir et transformer le projet lui-même. Ce projet, imaginé depuis plusieurs années, est également mis en place pour devancer les enjeux sociaux, économiques, géographiques d’une société réunionnaise en mutation, en proposant une exploration sensible dans le quotidien des familles réunionnaises.
Ainsi, à travers les différentes gammes du documentaire, et en utilisant des procédés modernes de diffusion, le projet propose d’expérimenter à nouveau les fonctions sociales d’une publication locale, et de questionner par l’image les liens existants entre les habitants de la Plaine des Palmistes.
Voir le site dédié : Traverse
Extrait d’un entretien entre Valentin Bardawil, Romain Philippon et Thierry Hoarau, Photodocparis.com, 2023.
« Valentin Bardawil : (…) Romain, peux-tu nous raconter cette histoire dont tu m’as parlée quand on s’est rencontrés l’été dernier, celle d’un psychiatre qui était venu vous voir pour comprendre ce que vous faisiez parce qu’il avait vu un changement profond chez un de ses patients après qu’il avait été photographié par vous. Si je me souviens bien la photo que vous aviez donnée à cet homme était devenue pour lui comme une sorte de talisman qu’il gardait précieusement.
Romain Philippon : Absolument, c’est l’histoire de Tristan qui est en photo au tout début du premier numéro du journal. Il y a trois portraits en noir et blanc, il est l’un des trois. Il a une grosse barbe, un look de vagabond ; je l’avais croisé à un arrêt de bus et j’avais fait cette photo après avoir discuté avec lui. Cette image fait partie des premiers portraits que je prends à la volée sans connaître les gens. On retrouve un portrait de Tristan dans le dernier numéro de Fey Sonj, cette fois-ci il a une double page, il n’a plus de barbe et on découvre un autre homme… Mais pour en revenir à cette première photo que je lui avais donnée, j’ai appris bien plus tard qu’il la gardait comme un talisman et qu’il avait même confectionné un cadre dans l’atelier d’artisanat et d’art plastique de l’hôpital psychiatrique où il allait consulter régulièrement. Cette photo lui donnait une direction dans laquelle se projeter car il ne voulait plus ressembler à l’homme qui était dessus. En fait, on ne le connaissait pas bien, on savait juste qu’il y avait plein d’histoires qui se racontaient sur lui, il était considéré un peu comme le fou du village et même s’il n’avait pas l’air simplet ; avec nous, il avait toujours eu l’air très stable, il était cultivé et on avait des discussions riches. Un jour, lors d’une restitution autour d’un verre que l’on faisait pour chaque sortie de journal, comme à chaque fois on conviait tout le monde à passer. Un homme arrive en moto, on comprend assez rapidement qu’il n’est pas de la plaine et il nous dit : « je viens voir ce qui se passe ici, je voudrais comprendre ce que vous faites. » Il nous apprend qu’il est le psychiatre de Tristan et qu’il est intrigué parce qu’apparemment notre travail a influencé le comportement de son patient et depuis quelque temps Tristan va mieux. C’est lui qui nous révèle le lien que Tristan entretient avec cette image, Tristan, lui, ne nous en avait jamais parlé. C’est en présence de son psy qu’il va se confier pour la première fois et nous donner sa version complète. J’en profite pour lui demander son accord afin de raconter son histoire car tout le monde avait des versions différentes de sa vie, certaines personnes pensaient même qu’il avait brûlé sa maison et tué ses enfants. Il se disait des choses assez sordides sur lui. On racontera donc son histoire dans le dernier numéro du journal de manière poétique et détournée. C’est le seul texte que ni Thierry ni moi n’avons écrit ; on a demandé à une amie rédactrice de le rédiger et elle en a fait une histoire un peu fictionnelle qui lui convenait très bien. Tristan est un personnage important parce qu’il a été là depuis le début, il passait souvent prendre un café et il nous a accompagné jusqu’à la fin. »
Lire tout l’entretien sur le site de PhotoDoc.
Fey Sonj, journal photographique papier, 32 pages, édition Praxitèle, 2020.