Romain Philippon

MÀJ. 09.02.2024

Antimémoires

Antimémoires, depuis 2018
Photographies argentiques et numériques, textes, dimensions variables, édition numérique en ligne.

Tout était merveilleux : les arbres, le soleil, les pierres. Et dans le matin, dans le soir, dans l’herbe, sur l’écorce et le long des murs à l’ombre, tel un petit fantôme, un air frais riait.
Je me souviens… il suffisait de trois fois rien pour que je me fasse des films sans pellicule. Je me faisais rire tout seul ou j’impressionnais ma mère par tant d’ardeur. Parfois même je laissais un rôle à mes cousins et à ma sœur.
A-t-on le droit de s’inventer des souvenirs ? Ou de broder à ce sujet ? Non pas pour frimer, mais simplement pour construire son histoire. Et qu’importe si celle-ci est fausse. L’important d’une vie passée est qu’elle soit vraie ou qu’elle soit belle ?
Je me souviens… il suffisait de trois fois rien pour que je me fasse des films sans pellicule. Je me faisais rire tout seul ou j’impressionnais ma mère par tant d’ardeur. Parfois même je laissais un rôle à mes cousins et à ma sœur. 
Le maloya, sa musique, sa danse ne sont pas mes racines. Ils sont cet arbre sous lequel j’aime m’abriter.
Je ferme les yeux. Quand je pense aux autres, que je cherche à les voir, ils ne sont pas éclairés par le soleil. La lumière dans le noir, derrière mes paupières fermées, c’est eux. Et la lumière pleut.
J’avais encore du chemin et j’avançais. Je me disais que j’aimerais bien mourir comme se meurt le ciel déclinant sur cette route que ma voiture avale ligne blanche par ligne blanche. Mourir après avoir été grand. S’effacer à cette vitesse, dans ce silence, et avec cette superbe.
Heureusement, il existe, la nuit, des rues longues et droites. La somme des regards portés sur un lampadaire, sur un de la famille des blattoptères, sur le mur imparfait, le passage d’un chat gris, ou noir. La somme, quand on cherche ses clés, les yeux baissés, du cuivre et de l’or ; à nos yeux, le trottoir, le caniveau et tout ce qui luit ; et qui est gravelé d’ombres.

« Depuis 2018, à partir d’images d’archives, j’entretiens un journal photographique personnel sous forme de dialogues avec des écrivains. En nous interrogeant sur leurs identités et celles de nos enfants, mais aussi sur nos territoires de vie – multiples, entre La Réunion et la métropole – nous faisons ressurgir une carte des souvenirs à la fois intime et imaginaire. “ Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. ” explique Nietzsche, dans Considérations inactuelles. Faudrait-il réussir à oublier pour vivre heureux ? Mais est-ce possible d’oublier, en photographiant sa vie ? Les images produites ne sont-elles que pure nostalgie, et donc un frein à la liberté et la créativité ? Comme Joël et Clémentine dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry), les auteurs jouent avec leurs souvenirs, visuels pour l’un, et écrits pour les autres. Débuté en 2018 avec Yann Hamonet aux textes, ce travail s’est ensuite poursuivi en 2020 avec Ben Mazué, puis jusqu’en 2022 avec Johary Ravaloson et Gillian Geneviève. »

Romain Philippon

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Antimémoires, auto-édition (5 ex), 2021.