Térésa Small

MÀJ. 03.12.2024

Papirklip

Papirklip, 2020-2024
Broderie, appliqués de fil d’or, de ficelle, de dentelle et/ou de tissus (lin, coton, coton ajouré, soie), texte peint sur lin et coton,
23 x 29 cm à 38 x 60 cm.
Photographies © René-Paul Savignan


Détail


Exposition Papirklip, Banyan - Centre d’art contemporain de la Cité des Arts de La Réunion, Saint-Denis, 2024


« […] Les matériaux de prédilection de Térésa Small - costumière ayant travaillé pour la compagnie Vollard notamment - sont le tissu, la teinture, le fil, l’aiguille. L’autre matière première est le mot, les mots qu’elle revendique comme fondamentaux dans sa pratique. L’exposition est ainsi constituée de deux séries où se croisent, se parlent, se nourrissent ces deux nécessités chez elle.

La principale série est un ensemble d’une vingtaine de broderies aux formats différents et de tailles modestes. Elles ont été réalisées récemment. En vis-à-vis, un pan vertical, alignement de scènes simples, colorées, en formes découpées dans des tissus et cousues sur un fond de tissus autres aux teintes travaillées par ses soins. Ce pan est comme des pages extraites d’un livre, il date des années quatre-vingt-dix. Et ce choix de deux temps de son œuvre est un des points forts de ce qui nous est montré. Il fait le sens d’une œuvre.

L’ensemble a été un moment d’émerveillement pour moi. Du plaisir à être face à ces œuvres d’une simplicité apparente. Plaisir procuré par quoi ? D’abord la cohérence des œuvres choisies et leur agencement. Ici, l’accrochage très discret techniquement se veut une promenade. Pas de lecture obligatoire pour le visiteur. Pas de certitude sur l’ordre proposé si ce n’est l’envie d’une proximité entre les broderies pour que ça se parle et nous invite à tisser des liens. Un sentiment de richesse s’en dégage. L’impression de n’avoir pas tout vu est là, une fois sorti de la salle.

Plaisir devant chaque broderie où la minutie du geste manuel n’est ni démonstrative, ni flamboyante. Elle est le fruit d’un travail qui n’a pas la volonté de faire force mais se situe du côté de la séduction, de l’artisanat intemporel, du mouvant des matières, de la présence de chaque teinte. Des maladresses de dessins ne sont pas effacées, des assemblages de couleurs ne sont pas systématiques, et les choix produisent ici une agréable diversité vivace. Rien n’est cadenassé, rigide chez Térésa. Broderie d’une phrase ou pas, figure abstraite ou pas, scène encadrée ou pas, carré ou rectangle, paysage ou portrait. Une petite pièce en terre cuite s’invite avec bonheur.

L’artiste n’a pas à se convaincre ou à nous convaincre d’une position ferme à tenir, elle crée au profit du moment, de son intuition, de sa vie de tous les jours, de son émotion, de son histoire personnelle. Je l’imagine en Pénélope, amoureuse d’un homme venu d’un autre temps (Andersen), d’un autre lieu, parti en voyage, et qu’elle évoque patiemment. Il y a une rencontre, et il y a une tendresse, et des tissages. Ça se tisse. C’est avec une certaine maturité, un « dégagement » que se partagent ses dernières créations.

Et une des différences qu’il me semble pertinent de noter en comparaison avec les deux autres expositions1 se situe dans la place donnée à la mort. Sujet qui circule dans les trois expositions. Sujet liquide. Sujet difficile. Sujet puissant. Avec Térésa Small, la position poétique est forte de son humilité (humilité vient de humus). En effet, présente dans les mots et les figures, l’artiste donne à la mort une de ses dialectiques qui rend la vie complexe. La mort est présente sous des aspects cruels, via la figure du pendu, ou sous des issues enchantées, via la figure de l’ange. Visions opposées mais apposées sur le mur. Cruauté et merveilleux. Beauté et laideur de nos vies limitées.

Alors, n’oublions pas la phrase peinte sur le troisième mur de son espace : « Pas que pour le plaisir ». Avec si peu, ces mots disent beaucoup, en creux, sur ce que la vie et l’art peuvent faire ensemble. »

Camille Touzé, 2025
Papirklip de Térésa Small
Publié dans La Critique Facile, numéro 1, 2024.

  1. Cf. les expositions Maska à la Villa de la Région et Déluge, à 12 La Galerie, Saint-Denis de La Réunion, 2024