Emmanuèle Bernheim

1970

Au début, il y a eu le cyclone Firinga, et ses rafales de 240 km/h sur l’île de La Réunion, et le père d’un petit garçon de 9 ans, qui lui interdit de sortir, car il risquerait soit d’être emporté dans les airs, soit d’être décapité par une tôle.
Ce souvenir et les visions qui l’accompagnent ont marqué Tiéri Rivière à tout jamais. Est-ce là l’origine de ce mélange de burlesque et de danger, de gravité et d’apesanteur, qui semble être la marque de son œuvre ? Ce qui frappe tout d’abord, lorsque l’on découvre les dessins à la fois grands et minuscules – ils mesurent 1 sur 1 mètre – de la série Gestes, c’est le suspens.
Suspens dans toutes les acceptions du terme. Le personnage est placé au centre de l’espace, en un équilibre qu’on devine précaire, comme suspendu au milieu du vide, prêt à y chuter, à y être aspiré. Je parle ici de personnage, car c’est bien un seul et même personnage dont il s’agit, Tiéri Rivière lui-même, que l’on retrouve à chaque épisode, petit Buster Keaton de papier, aux prises avec de minuscules et immenses défis.
Suspens donc : va-t-il réussir à maintenir cette planche entre deux râteaux ? Ne va-t-il pas tomber de cette interminable colonne ? Jusqu’où cette corde rouge se tendra-t-elle sans se rompre ?
Ce suspens est réel car – dit Tiéri Rivière – « je me mets souvent en scène pour devenir un personnage burlesque, un homme-objet, souvent stoïque et je m’obstine à réaliser des actions pénibles qui n’ont manifestement aucun sens ». Suspens, burlesque, et réel dans la vidéo Firinga, où l’artiste, petit homme aux prises avec les éléments, tente d’avancer en plein vent, tenant dans ses bras une tôle translucide qui fait deux fois sa taille, dans une vaine tentative d’apprivoiser le cyclone de son enfance. Le travail de Tiéri Rivière procède d’une économie, on pourrait même dire une éthique : « Je travaille à partir de matériaux naturels ou manufacturés, d’objets de récupération cueillis çà et là, ou bon marché… Contrairement à l’artiste bricoleur qui va récupérer tout ce qu’il trouve en disant que cela peut toujours servir, j’essaie de cueillir, de prendre juste ce dont j’ai besoin comme on cueillerait un fruit mûr… »
Rien n’est ici gratuit. Les matériaux évoluent avec les lieux. Sa sculpture Voyaz, un vélo, portant en équilibre (toujours l’équilibre !) tout un tas d’objets – échelle, chaises, matelas, aquarium… qui ne sont jamais les mêmes, différents d’un lieu d’exposition à l’autre suivant ce que Tiéri Rivière trouve sur place.

Son œuvre est vacillante, changeante, mouvante, voyageuse. Et vivante.

Emmanuèle Bernheim est une romancière et scénariste française. Elle est l’autrice de Vendredi soir en 1998, adapté au cinéma par Claire Denis, et de Stallone en 2002. Avec Michel Houellebecq, elle a écrit l’adaptation cinématographique de Plateforme. Elle fait également partie du collège critique mis en place par Stéphane Corréard pour le Salon de Montrouge 2012.