L'architecture comme révélateur d'une identité créole

Par Nathalie Gonthier

2021

Loin des attendus de « l’artiste créole », Tiéri Rivière s’attache par le choix de matériaux, de modèles, de caractéristiques architecturales ou de formes décoratives à révéler une identité culturelle spécifique au territoire qu’il revendique. Ainsi, l’habitation créole, sa structuration initiale et ses motifs, lui permettent de questionner son contexte. Tout en appliquant une stylisation des formes, il s’attache autant à une mise en scène qu’à un rapport décoratif.

Tiéri Rivière crée aussi des espaces à éprouver, dans lesquels son propre corps va servir d’étalon. La représentation d’actions, de gestes, par la captation filmique ou par le dessin, lui permet d’interagir avec ces espaces, d’expérimenter les équilibres et les chutes. Il choisit des objets simples -billes, sac de couchage, palette, vêtement - et les met en dialogue avec son corps. Que ce soit pour des restitutions d’actions ineptes ou des sculptures à dimension architecturale, c’est l’esprit d’ingéniosité, l’économie de moyens et une capacité d’invention rapide et efficace qu’il veut insuffler dans son travail plastique. Dans l’exposition, Il a pris le parti d’installer ses œuvres dans l’ensemble du musée, depuis l’extérieur du bâtiment jusqu’aux galeries intérieures, prenant l’espace comme un réel terrain d’expérimentation.

À travers ses dessins, sculptures et vidéos, où peuvent se mêler l’absurde et le burlesque,Tiéri Rivière nous propose une relecture singulière de la réalité. Son corps devient un outil à activer. Une échelle qui situe un décor, le fait exister, malgré la disparition des corps. Que ce soit dans ses sculptures ou dans ses vidéos, tout ne tient qu’à un fil. Défi à la pesanteur, tension, risque, rapports de forces, mouvement, tous ces éléments questionnent la sculpture. Comment tenir ou faire tenir debout ? Faut-il en rire ou en pleurer ?

Son approche plastique trouve un écho subtil chez Georges Rouault dont la série d’estampes, réalisées pour les « Réincarnations du Père Ubu » est éditée par Ambroise Vollard en 1932. Achetée par le musée en 1987, cette série met en scène le personnage d’Ubu Roi, créé par Alfred Jarry dans une pièce présentée en 1896 et qui préfigure le « théâtre de l’absurde » dont l’influence sur les mouvements Dada et Surréaliste du début du XXe siècle est indéniable. Dans cet ouvrage, Ambroise Vollard et Georges Rouault choisissent de transposer la figure monstrueuse du pouvoir, Ubu Roi, pour évoquer la domination colonialiste et administrative. L’histoire des conquêtes et la question même des races, trouvent dans cette œuvre l’expression de sa dénonciation. Tiéri Rivière, par son intérêt pour l’absurdité et son appropriation des notions de déplacement et d’acculturation, a choisi de se mettre en regard de cette série majeure de la collection du musée Léon Dierx.

Extrait du catalogue de l’exposition Derrière la lumière, la mémoire retrouvée, commissariat Nathalie Gonthier, Bernard Leveneur, Valentine Umansky, musée Léon Dierx, 2021