Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Éloge de la périphérie

« Tout fruit a son noyau entouré de chair.
Tout être a son âme, son cœur, sa chair enveloppée de sa peau sensible.
Toute ville possède son Centre, ses artères et… sa périphérie.

L’artiste mozambicain Félix Mula nous dit : ” Les gens qui traversent la ligne des frontières entre la ville de béton et la ville de paille, sont des héros anonymes d’un jour, qui par leur labeur nourrissent et enrichissent les cœurs-villes emmurés ”.

Nous vivons le temps du paradoxe.

Quelle que soit la nature de la périphérie créée par le Centre, un lien de sang, de parenté, et d’énergie hante ces deux figures.
La ceinture sert le Centre, le Centre s’alimente de la substance amassée sur son pourtour.

Les villes du monde entier ont créé leurs périphérie ayant pris avec le temps la signification relative de marginalité et de discrédit pesant sur les populations isolées derrière les murs, les rocades, les usines ou les champs.

Ce lieu préfabriqué a créé au cours du temps toutes les divisions économiques, sociales et culturelles.
Revêtu d’habits incommodes et d’appréciations péjoratives, cet espace exutoire est la mauvaise conscience du Centre, son image déformée, sa maladie congénitale.

Le va-et-vient perpétuel, saccadé, quotidien, violent est synonyme de relations inégales dans les termes de l’échange instaurées par le déséquilibre d’une société en mal de vivre, en mal de partage et d’iniquité.

Il nous suffit peut-être d’entreprendre avec lucidité, conviction et sans arrière-pensée une vérification de la nature profonde de cette périphérie pour décréter qu’elle a une âme, une identité propre forgée par son histoire, pourvue d’une trame humaine déposée au rythme-flux des migrations lointaines, dans un concert multicolore aux dimensions pluri-ethniques, pluri-linguistiques, pluri-culturelles.

Comme un grand corps enveloppant son noyau, la périphérie partage avec son Centre la nervosité des amants contrariés, la révolte de l’être incompris et mal aimé.

De ce constat rempli de contradictions nous pourrions clamer que la périphérie est un spectre riche de milliers d’étoiles, un terreau de spécificités rares, l’anneau de toutes les composantes possibles.

Juguler son énergie, contrarier sa créativité, ses interdits et ses influences serait fatal au Centre.
Nous devrions dans un sursaut de conscience collective abolir les frontières d’opportunité entre ce noyau et sa chair, entre nos réalités et nos rêves, pour une entrée souveraine dans cette nouvelle cosmogonie contemporaine. »

Jack Beng-Thi, 2010