Jack Beng-Thi

UP. 01.04.2025

Zhu Zi, 1996

Territoire des objets non identifiés

Zhu Zi — Territoire des objets non identifiés, 1996
Installation, bambou, céramique, bois, coupures de journaux, étoffes, pigments colorés, 40 x 30 x 10 cm.
Collection musée Léon Dierx

« (…) Ce croisement de population, Jack Beng-Thi l’a concentré dans une œuvre de 1996 intitulée Zhu zi, territoire des objets non identifiés, une installation suspendue au moyen de câbles au mur du Musée Léon Dierx à Saint-Denis. C’est une compression rectangulaire de fibres de bambou tissées, liées et collées, entre lesquelles sont insérées des matériaux divers : bris de céramique, coupures de journaux, particules de métal, morceaux d’étoffe, pigments colorés… Par terre, un espace aux dimensions équivalentes, délimité par une structure de bois peint en blanc, semble prêt à accueillir l’ensemble feuilleté et compact retenu dans l’air à 1,10 mètre du sol.

À l’extérieur et contre le mur du musée, l’installation de Jack Beng-Thi se veut aussi être une réaction contre le musée colonial d’autrefois, instrument de domination culturelle sur une population dont la pensée et l’histoire aussi diverses qu’éloignées du monde européen furent toujours niées.
Cerné par ce qui ressemble le plus à une palissade de jardin européen, ce territoire au sol nous renvoie à la pensée développée par Simon Pugh1 dans Garden, Nature, Language (1988) selon laquelle la nature appropriée et contrôlée par l’homme ; le jardin cultivé et ordonné pour créer l’illusion d’un ordre naturel, est en relation directe avec l’esprit de domination et de contrôle des populations qui passe par l’imposition d’une langue, d’une religion, de valeurs. Ce territoire figure La Réunion colonisée et administrée par la France qui attend de recevoir « les objets non identifiés » que suggère la multitude de fragments de matière, arrachés, détachés de leur unité initiale et insérés dans le Zhu zi, le bambou en chinois.

Ce « conglomérat » d’individus aux origines diverses envoyés pour l’exploitation économique de l’île, ce peuple réunionnais en devenir formant un ensemble imbriqué, lié, mêlé, tissé, collé, reste suspendu dans l’air. Rien n’est encore décidé pour lui, il attend un nouveau territoire pour s’épanouir.

Cercueil ou berceau ? Le périmètre dessiné pour lui au sol est parsemé de chaumes de bambou de couleur argentée. Taillés en biseau, ils préfigurent une pénétration métallique violente, le choc des cultures. Matières organiques si chères à l’artiste, Zhu zi, territoire des objets non identifiés ne serait-il pas le territoire des individus non identifiés ? « Liu min zhu dao » désigne en chinois l’île de La Réunion et signifie littéralement : « L’île dans laquelle ont été déversées des populations étrangères ». À l’instar des chinois dans leur langue imagée, la création de Jack Beng-Thi concentre l’idée, l’image, l’histoire d’une île et de son peuplement peu ordinaire.

L’artiste a choisi le bambou de Chine dont la symbolique, maintenant légendaire, l’associe à la résistance, à la souplesse et au dynamisme végétal le plus pur. Il introduit un mouvement arrêté, suspendu dans l’espace et le temps, il ouvre ainsi une perspective dans laquelle il est permis d’imaginer le pire comme le meilleur, faisant de Zhu zi un domaine riche d’une infinie potentialité. (…) »

Caroline de Fondaumière
Extrait de Jack et le lotus bleu, 2010
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  1. Cité par THELMA GOLDEN dans The garden of hate - Gary Simmons, Whitney Museum of American Art, 1992.