Clotilde Provansal

MÀJ. 03.12.2024

Acclimatation

Acclimatation, 2022
Leporello, impression numérique sur papier 300 g/m Hahnemüle (40 ex), plié 23 x 20 cm, déplié 200 cm.



Dédale mythique - Clotilde Provansal

« Semblable à ces vav multipliant les affluents du sommet aux abîmes, l’escalier dédalique d’Acclimatation (2022), que nous consentons à emprunter, nous conduit dans des soubassements antédiluviens. Le leporello n’est-il pas, si on veut bien pencher la tête, la représentation même d’une suite de marches que le regard — s’agrippant au cordage racinaire que nous tend Clotilde Provansal — descend et monte à volonté ?
Chemin faisant, l’œil rencontre plusieurs escales, plusieurs deltas, formant autant de nœuds auxquels il reste suspendu. Cerclant le chevelu d’une tresse une tache se dilate, une terre circulaire-insulaire — rappelant le couvre-chef de la créature infernale de Bosch — surgit. Passé de l’autre côté, l’unité soignée du tressage cède à la multitude : rhizomes échevelés, mèches-mangroves tombent en cascade sur la surface du papier. De cet humus mythique, à l’expansion fulgurante, germe déjà — sur des tentacules médusantes dentelées de lichen — de jeunes pousses en passe de devenir arbres et forêts.
Entrainé par ce tressage en mouvement, le réseau filandreux poursuit sa métamorphose en cordon ombilical : ramure organique sur laquelle est posé un foetus de poussins siamois — oiseau Rock à venir, Peng quittant sa mue ichtyoïde, Garuda en chrysalide, et pourquoi pas fleur de coton. L’orbite creuse et duveteuse de l’oisillon, bossu de son jumeau, en gestation de son double, ricoche dans un bourgeon velu duquel pend, en guise d’excroissance, une queue — monstre ou créature en pousse. À bien regarder — verticalement — cet œilleton aveugle qu’ombrage une rangée de cils, on apercevrait un presque héron, esquisse d’Aosagibi, dont le cou, souple comme une liane, s’épanouit en buste. L’écho ne signe pas la croissance de l’oiseau mais sa mutation, sa transformation — le pouvoir même du mythe — en une autre forme de vie. Sur cette troisième rive du fleuve1 évoluent dans le mêlement du végétal et de l’animal, le brouillage des règnes, l’indistinction temporelle, l’abolition des espèces et des apories toutes refondues dans une mythique généalogie.
Parlant de germe comme de fœtus, d’une fabrique du monstre au sens de prodige de la nature, c’est le mythe sous forme embryonnaire qu’il nous est donné d’apercevoir : son acclimatation. Le leporello, tel le grand oeuvre de Mayasura, ne ploie, ni ne ferme, au contraire il suggère un mouvement d’ouverture : déplier, dérouler le plan de notre architecture mythique — écho à notre réseau veineux, nous rappelant que nous sommes le premier territoire des mythes. »

Élisa Huet
Docteure en littérature comparée
Chercheuse associée au LCF EA 7390, Université de La Réunion.

  1. L’expression de Julio Cortázar est arrivée jusqu’à nous par Bernard Terramorsi.