Clotilde Provansal

MÀJ. 03.12.2024

Dialysis

Dialysis, 2023
Installation vidéo, 8 min 16 s en boucle.

Images extraites de la vidéo


Exposition Re-Bird, commissariat Colette Pounia, Artothèque de La Réunion, Saint-Denis.


Dialysis

« Dialysis est une installation vidéo monumentale immersive spatialisée sur trois murs de l’espace d’exposition. Le visiteur entre dans un paysage où il voit un groupe de femmes, vêtues de blanc, qui pénètrent en procession paisible dans un jardin en amont d’une forêt. Des sensations de bien-être se font ressentir dans un concert pourtant bruitiste donné par les machines et les oiseaux. Les guérisseuses vont opérer des dialyses – comme l’indique le titre – auprès des niaoulis, des arbres originaires d’Australie et de Nouvelle-Calédonie, dans le domaine de Beau-Bassin. Une succession de séquences rythme la narration : la procession, le lavage des mains, la pose des aiguilles dans les troncs, la mise en route manuelle des robots-machines, les dialyses elles-mêmes suivies de la régénération magique des Melaleuca quinquenervia en coda finale. Le visiteur-promeneur assiste à un va-et-vient constant entre les gestes des soignantes et l’environnement paysager. Le balancement dynamique, créé par une diversité de points de vue (aérienne, en contre-plongée, de face, de très près…), par des alternances entre image unique, diptyque et triptyque, capte notre attention. Si notre œil balaie l’espace de haut en bas, de bas en haut, de droite à gauche et vice-versa, il est surtout séduit par ce déploiement des gestes de soins qui parfois produisent dans le film de véritables scènes chorégraphiées comme le ballet des gants bleus.

L’artiste est l’auteure de Dialysis. Elle en a écrit le scénario mais cette pièce est issue d’une “ pratique collaborative ” devenue commune dans certains courants de l’art contemporain, et notamment chez des artistes préoccupés par la représentation et le sens du travail en ce XXIe siècle. Les autres auteures sont donc les soignantes, des actrices majeures dans les actes de soins et de réparation des corps malades — nous avons pu nous en rendre compte dans les deux années qui viennent de s’écouler — et dans la réalisation du film. Elles se sont prêtées au jeu du transfert de cette intervention médicale, habituellement confinée à l’hôpital, dans un jardin d’acclimatation. Il est ici à noter que le milieu hospitalier constitue un paysage d’exploration pour l’artiste. Avec Dialysis, nous explorons, à notre tour, un monde et une intervention médicale assurés essentiellement par des femmes que nous ne connaissons pas si bien que ça.

Le niaouli à la peau de papier a eu à s’acclimater comme toutes les espèces de peuplement de l’île et il s’agit d’en prendre soin car l’arbre curatif et sacré nous soigne à bien des égards. Aussi aller dialyser des arbres pour l’artiste, ce n’est pas les anthropomorphiser. C’est user d’une métaphore de la circulation du sang ou de la sève, engageant des pronostics vitaux, pour ré-établir une relation horizontale avec ces arbres devenus des êtres de droit à part entière. »

Colette Pounia
Extrait des cartels de l’exposition Re-Bird, commissariat Colette Pounia, Artothèque de La Réunion, Saint-Denis, 2023.


« À partir de la rencontre avec les monstres, les hybrides1 qui prolifèrent dans le monde sensible comme dans notre propre corps, Clotilde Provansal compose et expérimente un paysage du vivant, une physiologie de la relation, un corps-à-corps du végétal, de l’animal et de l’humain — je l’ai vue suivre la trace de Nicolas Bréon, jardinier de la colonie, fondateur de l’actuel jardin de l’État, et principal introducteur de plantes dans l’île au début du XIXe siècle. Le jardin d’acclimatation de Saint-François, fondé par Bréon pour tenter l’introduction de végétaux des zones tempérées, est devenu le domaine de Beaubassin, où l’artiste en résidence découvre une haute futaie de Niaouli rassemblée à la limite du jardin historique. C’est cette forêt de Melaleuca2 (mot à mot : « noir-blanc ») qui a inspiré à Clotilde Provansal un soin symbolique d’hospitalité : ironiquement, la fameuse plante-médicament se trouve soignée en retour. Il faut interroger l’acte de soigner, dans l’entrelangue : en créole réunionnais, i songn zanimo, osinon in karo sitrui, on prend soin des vivants, on les élève en acceptant de devenir soi-même un peu du bœuf moka ou de la liane de citrouille qui serpente au fond de la kour. Ici, c’est l’attention au corps des arbres, à la circulation des sèves, aux couches d’écorces parcheminées habillant le corps de Melaleuca, qui suscite un geste de créolisation, d’hybridation inattendue entre l’artiste, engagée avec les membres d’une équipe médicale dans un processus d’observation et de mise en lien, et la troupe d’arbres parfumés. Ce qui advient quand on finit par traiter le végétal comme un être vivant et sensible : on entend enfin ce que l’arbre avait à nous dire. Ainsi, assistant à la floraison extraordinaire d’un talipot dans un jardin botanique italien, Goethe en tire un moment d’extase et une merveilleuse théorie végétale, dont il rendra compte dans La Métamorphose des plantes (1790) : des racines aux tiges, des feuilles aux fleurs puis aux fruits, c’est un seul et même organe qui se transforme continuellement pour constituer ce que Hegel appelle un « être collectif », et la plupart des gens un arbre. »

Nicolas Gérodou, Métamorphoses du vivant, catalogue d’exposition Re-Bird, édition Artothèque de La Réunion, 2023.
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  1. Laboratoire des hybrides, 2017
  2. En les découvrant, au bord de la Ravine Laverdure, j’ai d’abord cru avoir retrouvé les Niaouli de Bréon : le maître-jardinier s’est fait envoyer des graines de Melaleuca d’Australie, qu’il dit avoir planté au jardin d’acclimatation de Saint-François dans les années 1820. Monique Ozoux m’a détrompé : de mémoire d’homme, ces Niaoulis sont néo-calédoniens et ont été semés par le grand-père Ozoux au début du XXe siècle.