Cartographies #1 - Les continents hybrides
CARTOGRAPHIES #1 - Les continents hybrides, 2016
Performance participative, sans limite de durée.
Cité By Night, Banyan, centre d’art contemporain de la Cité des Arts, Saint-Denis, La Réunion.
Art relationnel et pensée dialogique : le Laboratoire des Hybrides
« (…) Toute connaissance peut se projeter dans un espace mental artistique, un univers créatif. Cependant, il existe une différence entre savoirs transmis et savoirs acquis. Les savoirs acquis (documents, images, données stockées) sont identifiables et transposables « en tant que tels » dans un dispositif artistique.
Dans la relation, les savoirs transmis font écho à des perceptions, des interprétations, à l’expérience vécue. L’intuition créative repose ainsi sur des coïncidences, correspondances, analogies. Il n’est plus seulement question d’invoquer le hasard mais d’associer divers schémas de représentation de la pensée pour générer des formes nouvelles, des formes hybrides. Toute rencontre devient ainsi propice à la création d’œuvres. La question de l’hybridité intervient directement dans le processus de conception de l’œuvre. L’enjeu consiste alors à diversifier le plus possible ces rencontres pour élargir le champ de créations possibles. En créant un cadre expérimental de recherche, un laboratoire virtuel, il s’agit de définir des protocoles d’action et des mises en situations gui génèrent des œuvres hybrides. Ce Laboratoire des Hybrides voit le jour en 2016, lors d’une résidence à la Cité des Arts de La Réunion. Une première problématique est lancée : comment définir la notion d’hybridité ?
Pour y répondre, un protocole performatif est mis en place. Il s’agit de générer de la connaissance à partir de points de vue distincts et de créer une forme relationnelle et poétique gui incarne toute l’étendue des réponses. Ce dispositif repose sur l’idée que « l’art est un état de rencontre » (Bourriaud 1998). Il s’inspire du travail de l’artiste Thomas Hirschorn, Flamme Éternelle au Palais de Tokyo en 2014. Dans son dispositif d’exposition performative, Thomas Hirschorn développe un espace public « à l’usage de tous ». Il invite le public à le rencontrer et lui propose de produire des œuvres avec des matériaux universaux, éphémères et non exclusifs : pneus, scotch, carton, polystyrène, etc.
La performance Hybridité, la construction d’un objet1
consiste à créer une situation de rencontres en élaborant un objet, une carte mentale sur le mur de l’atelier avec les personnes présentes dans la salle. Le dispositif est paramétré dans le temps et dans l’espace : il prendra forme lors de l’évènement « Cité by Night », le 1er octobre 2016 à la Cité des Arts de La Réunion et s’étalera de l’ouverture à la fermeture des bâtiments.
Afin de préparer ce dispositif, un premier temps de recherche est mené sur les enjeux de l’hybridité à La Réunion dans les arts visuels. Il prend source dans des disciplines variées : documents, images, thèses (Molinet 2016), articles, supports audiovisuels. À l’issue de cette recherche, cinq thèmes émergent : Corps/identité, Figure politique, Biologie, Remix/Technologies, Créolité. Chaque thème comporte son lot de questions : Qu’est-ce qu’un hybride ? En quoi l’hybridité interpelle la notion d’identité (facteurs liés au genre, à l’âge, au corps) ? Que recherchent les scientifiques lorsqu’ils créent des hybrides en laboratoire ? Existe-t-il des représentations négatives de l’hybride dans l’histoire de l’art ? L’hybridation remet-elle en cause le réel en trouvant refuge dans la fiction ? Dans quelle mesure l’émergence d’un art non exclusivement européen a-t-elle contribué à définir une esthétique de l’hybridation ? etc.
Le jour de la performance, le public est attendu dans l’atelier aménagé en salon confortable avec moquette, coussins, canapés, éclairage tamisé, bouteilles d’eau. Pour fluidifier les débats et diversifier les points de vue, un panel d’une vingtaine de personnes est invité à l’avance à participer aux rencontres : artistes, philosophes, historiens, biologistes, médecins, enseignants, étudiants, juristes, économistes, chercheurs, etc. Le public est invité à se joindre à l’assemblée présente et à participer tout au long de la soirée. Le mur de l’atelier est préparé à recevoir des mots et remarques de l’assemblée. Il est recouvert de dessins (5 neurones dessinés autour d’un neurone central). Chaque neurone est signifié par un des thèmes définis. Les questions sont imprimées sur du papier et découpées en bandelettes. Elles sont insérées dans des bocaux de verre transparents contenant des matières symboliques reliées aux thèmes étudiés :
Corps/identité -> plumes
Figure politique -> peau de cabri
Biologie -> graines d’or
Remix -> câbles métalliques
Créolité -> gaze
La performance commence. L’artiste enfile un gant de chirurgien transparent et prélève avec une pince en métal une bandelette de papier dans le premier bocal. La question est lue devant le public et chacun donne son point de vue. Au cours des échanges, les mots sont pris à la volée, écrits au feutre noir sur des petits papiers carrés. Puis ils sont collés avec du scotch sur les neurones/thèmes de la carte mentale auxquels ils correspondent.
L’idée consiste à intervenir le moins possible pour que les échanges rebondissent dans la salle. L’artiste se contente de transposer les mots et les idées sur le mur et relance le débat en cas de blanc prolongé. Une fois que toutes les questions du bocal sont prélevées et lues, un nouveau bocal est ouvert pour que le débat continue. Lorsque les bocaux ne contiennent plus de questions, le dispositif s’arrête. La carte mentale sur le mur constitue une trace, une pièce éphémère destinée à être détruite. L’œuvre se génère dans la relation qui se joue entre les personnes présentes dans le dispositif, la matière (dessins, feutre, papier, mur) sert de catalyseur de la pensée.
Suite à ces rencontres, plusieurs projets sont abordés dans l’optique de la pensée dialogique du Laboratoire des Hybrides. Chaque projet est conçu sous forme de protocoles d’actions dans lesquels les participants (publics variés) sont sollicités pour créer des formes artistiques. Les questions sont ouvertes et génèrent une infinité de réponses. On peut citer parmi ces projets : Labyrinthe, Animactes, Arborescences (vidéos), « Quel hybride êtes-vous » (photographie et collages), Bwa lo kèr (installation et cartes mentales), Ékout mon desin (photographie et dessin). Ces questions ne cherchent pas à enrichir des savoirs mais expriment une parole, posent à leur tour d’autres questions, insolites, insoupçonnées. Orales et interactives, elles génèrent des formes vivantes qui s’expriment à travers une diversité de médiums : performances, vidéos, photographies, collages, dessins et peintures. »
Clotilde Provansal
Extrait de Image et savoir, interrogations transversales, 2019.
Sous la direction de Christian Germanaz, Vilasnee Tampoe-Hautin et Florence Pellegry, Presses Universitaires Indiaocéaniques
Lire le texte complet de Clotilde Provansal
Plus d’information sur les projets issus du Laboratoire des Hybrides à la page Repères
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