Hoditra
Le tour des origines d’un nouveau monde – Madécasse
Série Hoditra, 2016-2020
Encre et huile sur toile, 97 x 147 cm.
Hoditra : écorce, peau (de l’homme).
© Photographies Thierry Hoarau
Vue de l’exposition Le tour des origines d’un nouveau monde - Madécasse, commissariat Colette Pounia, galerie Hang’Art, Saint-Pierre, La Réunion, 2020.
Hoditra
« Le motif du tronc a toujours été là. Mais aujourd’hui avec Madécasse, c’est surtout son écorce, sa texture, son pouvoir scriptural qui sont exhibés. Lorsque Kako peint ses troncs, qu’il les “graphine”, il les sculpte simultanément, à la manière d’un orfèvre. Si bien que dans la série des tableaux paysages, le tronc en lui-même donne à voir un paysage. Intérieur. Si bien que tant de réalisme dans la représentation amène à voir des tableaux abstraits. Prélevés d’un morceau de nature beaucoup plus immense. Encore un écho à l’immensité du pays madécasse1 . Illusion d’optique : points de vue aérienne et frontale semblent se confondre surtout dans les tableaux où les troncs sont peints à l’horizontale ; et font fleuve sur les peaux ou les terres picturales tatouées.
Reprendre le tatouage, c’est reprendre une pratique décorative du corps. C’est reprendre l’art de la parure qui trouve son origine dans l’art de la guerre. Là encore, avec Madécasse, l’artiste montre de manière plus nette son intérêt pour l’art ornemental et il parvient à ce qu’on appelle le “bon décoratif” où les motifs ne sont plus plaqués sur le support mais surgissent du support et deviennent expressifs de la nature de ce support.
Kako ne fait pas qu’emprunter les signes des tatouages. Il réinstaure une certaine part de cette pratique ancestrale : celle de tatouer une seconde fois sur d’anciens tatouages qui se sont effacés au fil du temps. Dans certaines tribus “madécasses”, c’est parce qu’il n’y avait plus de place.
Tracer des signes, les recouvrir, retracer des signes sur le recouvrement et faire réapparaître ceux des dessous dans les dessus. Dans la série Hoditra, les peaux tatouées desquelles se détachent les troncs paysages sont de véritables palimpsestes.
Dans son questionnement sur la construction et le ressenti de l’identité plurielle, l’artiste propose une réponse : faire réapparaître les effacements, les oublis, les profondément refoulés, par une recherche historique retranscrite et réinventée en peinture. Et enfin dévoiler ce qui se cachait sous les “bariolages” de couleurs, derrière les troncs. “Mais il y a une femme là-dessous !” »
Colette Pounia
Extrait du texte paru dans le catalogue de l’exposition individuelle Le tour des origines d’un nouveau monde – Madécasse au Hang’Art, Saint-Pierre, La Réunion, 2020.
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Au commencement était l’écorce.
« Celle de l’arbre saisi au plus près de son existence.
Trait à trait, d’un pinceau à la pointe aussi acérée que les épines des Antandroy2 , l’encre noire, telle la suie des origines, incise la toile virginale dans une quête absolue du secret de la sève. D’abord hésitante, la main va, ose quelques griffures, les prolonge de tracés volatiles, renonce, reprend, se retire, puis recommence – une fois, deux fois – autant de fois que nécessaire, avant que ne s’opère, de l’esprit et du corps, cette fusion aussi attendue que redoutée car synonyme d’une aliénation spiralaire. Et le geste grisé d’impatience se fait plus fécond : fibre après fibre, la toile se remplit ; écaille après écaille, l’écorce se structure, enfle, se soulève, craque, se fissure jusqu’à former ce tronc – pilier tutélaire d’une île au monde, jusqu’à élever ce bouquet de racines – poteaux solidaires d’Atlas. Lorsque tard dans la nuit, le manège s’arrête – ces choses-là se passent toujours la nuit – dans une rumeur bélouvienne, l’arbre s’annonce, tamarin élancé, filao affolé, acacia, araucaria, vacoa pavillonnaire. Bris de troncs, soupçons de corps, membres sexués, parcelles de forêts scalpées s’imposent alors sur le coton jalousé : de l’immensité du possible surgit enfin une possible réalité. »
Extrait du texte « Au commencement était l’écorce », de Sophie Hoarau, paru dans le catalogue d’exposition.
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