Kako grandit dans les hauts de l’île de La Réunion où la nature est omniprésente, luxuriante. Dès l’enfance, il développe un intérêt intense pour cet environnement et, en particulier, une fascination pour les arbres. En les observant, il perçoit des signes, des mouvements, une forme surprenante de langage. Et c’est ainsi que l’arbre est devenu une figure de référence dans son travail plastique. Dans son dessin, sa peinture, ses installations, la silhouette de l’arbre découpe l’espace, recadre l’image et semble s’interposer entre le spectateur et la scène qui se déroule derrière ses ramures. L’artiste utilise l’analogie au système racinaire pour étudier l’Histoire du peuplement de La Réunion qu’il appelle « Le Nouveau Monde » en raison du caractère forcé de ce mélange de cultures. Il part alors mener son enquête à travers la zone indo-océanique et restitue dans ses pièces la poésie et l’étonnement nés de la friction entre son imaginaire et les bouts de mondes qui se sont glissés entre ses racines. Depuis 2019, Kako développe une expérimentation artistique avec Stéphane Kenkle : La Kour Madam Henry, menée sur le terrain de Kako à Mont-Vert les Hauts, où ils plantent jardin et forêt, à l’écoute du vivant.

Marie Birot, 2020

Réalisation Frédéric Ramade
Production ARTE en partenariat avec l’ADAGP et le FRAC Réunion.
Kako © ADAGP, Paris, 2022 
Frédéric Le Boterve, Thomas Lebon, Thierry Hoarau
© ARTE France Développement, ADAGP, 2022

Je suis né en 1963 à Mont-Vert les Hauts, île de La Réunion. Amoureux de la nature, je suis proche de la terre et fasciné par les arbres. Éveillé à la pratique artistique au collège par le professeur d’art Labor Robert, j’ai découvert la figuration narrative et la figuration libre dans les années 90 en fréquentant la galerie Mengin où j’ai rencontré notamment Hugh et Sabine Weiss, Erró, Hervé Di Rosa, Peter Klasen… Sur mes premières toiles, les arbres s’imposent, troncs dénudés derrière lesquels apparaissent des scènes de vie. L’exposition Étadam en 2000, en duo avec Nathalie M, et le livre édité à cette occasion révèlent ce jeu subtil. Jeu de cache-cache ou distanciation, l’Arbre s’interpose entre le spectateur et des instantanés de la vie quotidienne ou de scènes inspirées de la mythologie, comme dans la série bleue de 2006. Mon travail s’enrichit de la rencontre avec l’artiste américain Hugh Weiss, dont la peinture onirique propose des voyages imaginaires dans le monde réel du rêve.
L’image de l’Arbre continue à occuper une place centrale dans ma recherche artistique. Arbre généalogique, Arbre à palabres, Arbre de la liberté, Arbre sacré… forêt de symboles. En 2008, j’introduis la photo dans son travail. Ainsi inséré dans des tirages photo, l’Arbre met en évidence les contradictions entre la mémoire image et le temps. L’Arbre naît, vit et perdure, personnage immobile, soulignant la schizophrénie de nos vies modernes. C’est ainsi que naît la série 7 jours à New York. En 2009, ma rencontre avec Hervé Di Rosa, l’un des principaux artisans de la figuration libre, avec qui je noue des relations amicales, influencera ma recherche plastique. Je m’interroge alors sur l’idée d’un Nouveau Monde né récemment de la fusion forcée d’origines diverses, sur la construction de l’identité issue d’un métissage multiple…
Fil conducteur de mes créations, l’Arbre est aujourd’hui au cœur du Tour des origines d’un nouveau monde. Depuis 2010, j’ai en effet entrepris une réflexion autour des contrées racines d’un nouveau monde, qui peut être La Réunion ou un monde demain. Reprenant l’expression du philosophe Emanuele Coccia selon laquelle « il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience », je développe une recherche autour de l’identité multiple et nos différentes appartenances. J’explore ainsi la question écologique et la place de l’homme au sein du monde vivant, développant autour de l’Arbre une réflexion esthétique, poétique et personnelle sur la relation entre les hommes et la nature. L’Arbre devient présence physique de notre rapport au monde, symbole du lien entre le réel et notre imaginaire et ouvre l’espace pour ce que Wilhiam Zitte a nommé l’Artgénéalogie.
Mon travail prend racine dans l’espace indo-océanique.
Par ailleurs j’ai démarré, en collaboration avec l’artiste Stéphane Kenkle, un projet « d’art-griculture » écologique sur une parcelle de 6 ha. L’idée étant de contribuer à la « re-colonisation » de l’espace par la nature, et de redonner à celle-ci, et donc aux arbres, la place que l’anthropocentrisme leur a enlevée.

Kako, 2020

La Kour Madam Henry

Planter serait génial

« Nous avons besoin de vivre dans des petites oasis de vie et de fraternité. » (E. Morin)

Naître dans une île-oasis, c’est naître dans un rapport concret au vivant même si ce rapport nous est invisible car nous n’avons jamais pensé la nature comme une chose et nous autre chose. Le « piédbwa » (Kako) et la liane verte (Kenkle) ont ainsi commencé et continuent à parcourir nos « tableaux » à la manière de biographèmes, ces détails de vie à la genèse de la création.
Notre projet de planter a surgi lors d’une balade sur le terrain de Kako. Et renouer avec la terre a d’emblée signifié se nouer à la terre pour redonner place à la forêt primaire et à son imaginaire fantastique.
Moi, Kako, j’ai grandi dans la forêt et dans les réalités agricoles, près du « ti jardin » d’un voisin maraîcher. Ses planches végétales colorées m’émerveillent et je me rêve alors agriculteur, dénommant, dépeignant les plantes et pieds de bois. Une expérience dans le modernisme productiviste me révèle le non-sens de l’orientation capitalisante de notre monde.
Moi, Kenkle, je re-découvre le sens magique de l’île par des poètes, peintres et botanistes. Au détour d’un sentier de Mafate, la rencontre d’un planteur qui m’offre des « ti mélanz » de semences, garants de notre diversité, est celle d’un être en symbiose poétique avec la nature. Il voit dans les affleurements de terre des « horizons » et je suis subjugué par cette imprégnation atmosphérique et céleste dans le souterrain.
Nous avons donné notre premier « coup de pioche » en janvier 2019 en projetant la forêt et le jardin ensemble. Notre intention n’est pas de sanctuariser la nature mais cultiver notre jardin et regarder croître tous ces verts différents.

Kako et Stéphane Kenkle, 2021.

ARTISTES

Hugh Weiss
Nicolas Poussin
Giuseppe Penone
Wilhiam Zitte
Hervé Di Rosa
Labor Robert
Egon Schiele
Paul Cézanne

MOTS

  • Arbre
  • Terre
  • Ciel
  • Vert
  • Racines
  • Appartenance
  • Identité

LIVRES

Emanuele Coccia, 2020, Métamorphoses
Bruno Latour, 2017, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La Découverte
Bernard Payet, 2003, Dann lonbraž le mo, Ziskakan
Michel Serres, 1990, Le Contrat naturel, Flammarion
Arthur Rimbaud, 1873, Une saison en enfer

MÉDIATION

Ressources et textes critiques