Made in India

Par Wilhiam Zitte

2013

Déf la mémwar, 2013
Techniques mixtes (impression sur toile, encre, acrylique), 97 x 129 cm.

Kako, qui expose ses œuvres depuis 1998… pratique une technique artistique singulière, à cheval sur la photographie et la peinture, sur la couleur et le noir et blanc, sur le multiple et l’œuvre unique. Il fait partie de la catégorie des artistes indépendants du sud de l’île qui s’étend des Avirons à Saint-Philippe. Le Tampon et Saint-Pierre organisent des expositions et des manifestations artistiques régulières depuis plusieurs années qui montrent la diversité du modèle métis.
Des créateurs perpétuent une tradition d’artistes engagés dans une pratique complémentaire de leur activité principale professionnelle (corps médical, militaire, enseignant…). Ils disposent de temps libres, de moyens finan­ciers et une certaine culture… D’autres se consacrent à plein temps à leur art : Gilbert Clain, Cristof Dennemont, Jean Bénard, Charly Lesquelin, Richard Riani, Richard Blancquart… Jace. Ils privilégient des imaginaires contem­porains singuliers associés aux valeurs traditionnelles locales et métropolitaines.
Il y a une sorte de partition à plusieurs instruments, voix sur l’identité polychrome de l’île : les scènes de genre et les paysages de Lesquelin, Béton et Mallet, de Lydie Puyjarinet, Claire Grasset, Déborah Roubane…, les recherches abstraites de Tony Manglou et les créations d’une kyrielle de nouveaux venus au gré des installations post-diplômes ou mutations…

Kako a découvert l’art au cours de son parcours scolaire. L’enseignement de Labor Robert, Professeur d’art au Lycée du Tampon, a été déterminant dans sa culture artistique. Dans la lignée de Bertrand Boyer, Labor Robert s’est formé dans les écoles d’art en France Métropolitaine avant de revenir dans l’île pour pratiquer un art moderne, quelques fois d’avant-garde.
L’influence des mouvements d’art contemporains est confortée par le dynamisme de la galerie Mengin à soutenir des artistes indigènes (Jean-Bernard Grondin, Alix Pothin) et à faire venir travailler au L.A.C (Lieu d’Art Contempo­rain) des pointures internationales avec qui Kako sympathise parfois comme avec les époux Weiss et Hervé Di Rosa. Le Réunionnais développe une démarche encadrée par ces figures tutélaires. Il est porté par l’élan artistique des dernières années dans l’île. La connaissance du métissage – miracle réunionnais passe par le Tour des origines d’un nouveau monde. Kako a entrepris comme principe de sa création plastique de se rendre dans les pays source des migrations non européennes – et pourquoi pas européennes – de La Réunion. Après la Chine, l’Inde ! L’artiste s’est rendu en trois voyages dans le Gujarat et le Tamil Nadu. Il a pris des photo­graphies dont la sélection fait l’objet d’un tirage numérique de 1 m sur 1 m 50 de format sur toile préparée et de tirages de format plus réduit, mais en grand nombre sur papier. Les supports sont sérigraphiés de motifs religieux anciens indiens notamment. Le travail de recomposition et de retouche s’achève à l’acrylique, à l’encre de Chine en noir et blanc. Masques, portraits, personnages et troncs.

Le tronc d’arbre est constant dans la prise de vue ou alors il est rajouté, dessiné.
Le pandanus est l’arbre privilégié de séries de peintures. Pandanus des Hauts vacoa marron endémique. Vacoa des bas – pinpin – aux origines pacifiques malaises exotiques. Racines aériennes et multiples. Tronc – tige. Comme le goni (toile de jute), le ballot et la tente faits à partir des feuilles vacoa font partie des marqueurs de la réunionnité, en concurrence avec les emballages modernes en plastique qui correspondent davantage aux normes européennes. Faculté d’adaptation dans le monde tropical en évolution.
Kako entreprend une sorte d’artgénéalogie. Les origines deviennent accessibles par une économisation des identités. Les voyages – promenades voudraient relier au présent une réalité douloureuse du passé. Il s’agit sûrement d’une tentative de conjurer les peurs liées aux migrations, une façon d’adoucir la brutalité du déchire­ment lié à l’exil, une réconciliation des mémoires racinées – forcées ou volontaires – d’hier, aujourd’hui et demain.

Préface du catalogue d’exposition Le tour des origines d’un nouveau monde – Made in India, édition Kf actory, 2013.