Made in India - Toiles

Le tour des origines d’un nouveau monde

Le tour des origines d’un nouveau monde - Made in India, 2013 
Série de 20 toiles, techniques mixtes (impression sur toile, encre, acrylique), 97 x 129 cm.

Lot koté la mér
Par-delà les mers

Lot koté la mér est une interprétation de la descente du Gange, sculptée sur les parois de pierre ancienne du site archéologique de Mamallapuram, village de pêcheurs sur la côte du Tamil Nadu.

Dann fénwar
Dans l’obscurité
Déyer pardvan
À l’envers
Dann lonbraz
À l’ombre

Kognman fonnker
Coup au cœur
Baskil lo tan
Temps suspendu
Lékïm la tër
Écume terrestre
Koutkögn dann van
Blessure de l’âme
Kalkil a el
Rêve d’elle
Def la vi
Dénouer la vie
Kozman pié d’boi
Paroles d’arbre

Zizka toultan
Pour toujours
Déf la mémwar
Dénouer la mémoire
Esper a el
Attends-la
Kadans lo van
La danse du vent
Dann larder d’siél
Dans la brûlure du ciel

Mazïn a zot
Imaginez-vous
Kortéz bon dié
La marche des dieux

Ziska astèr
Jusqu’à maintenant
Tramay la vi
Capturer la vie


Exposition Le tour des origines d’un nouveau monde - Made in India,
Chapelle Saint-Thomas-des-Indiens, Saint-Denis, La Réunion, 2013.
À gauche (stèles) : collaboration avec Nirveda Alleck.

Exposition Le tour des origines d’un nouveau monde – Made in India, villa de la Région, Saint-Denis, La Réunion, 2013.
À gauche, Sur les braises, 2013. Au sol : installation, bois de tamarin des hauts et acrylique.
À droite, installation en collaboration avec Nalini Treebhoobun et Nirveda Alleck.


« La connaissance du métissage – miracle réunionnais passe par le Tour des origines d’un nouveau monde. Kako a entrepris comme principe de sa création plastique de se rendre dans les pays source des migrations non européennes – et pourquoi pas européennes – de La Réunion. Après la Chine, l’Inde ! L’artiste s’est rendu en trois voyages dans le Gujarat et le Tamil Nadu. Il a pris des photo­graphies dont la sélection fait l’objet d’un tirage numérique de 1 m sur 1 m 50 de format sur toile préparée et de tirages de format plus réduit, mais en grand nombre sur papier. Les supports sont sérigraphiés de motifs religieux anciens indiens notamment. Le travail de recomposition et de retouche s’achève à l’acrylique, à l’encre de Chine en noir et blanc. Masques, portraits, personnages et troncs.

Le tronc d’arbre est constant dans la prise de vue ou alors il est rajouté, dessiné.
Le pandanus est l’arbre privilégié de séries de peintures. Pandanus des hauts vacoa marron endémique. Vacoa des bas – pinpin – aux origines pacifiques malaises exotiques. Racines aériennes et multiples. Tronc – tige. Comme le goni (toile de jute), le ballot et la tente faits à partir des feuilles vacoa font partie des marqueurs de la réunionnité, en concurrence avec les emballages modernes en plastique qui correspondent davantage aux normes européennes. Faculté d’adaptation dans le monde tropical en évolution.
Kako entreprend une sorte d’artgénéalogie. Les origines deviennent accessibles par une économisation des identités. Les voyages – promenades voudraient relier au présent une réalité douloureuse du passé. Il s’agit sûrement d’une tentative de conjurer les peurs liées aux migrations, une façon d’adoucir la brutalité du déchire­ment lié à l’exil, une réconciliation des mémoires racinées – forcées ou volontaires – d’hier, aujourd’hui et demain. »

Wilhiam Zitte
Extrait de la préface du catalogue Le tour des origines d’un nouveau monde – Made in India, édition Kf actory, La Réunion, 2000.
Lire le texte complet.


Le chant de l’eau, poème de Bernard Payet, écrit à l’occasion de l’exposition Le tour des origines d’un nouveau monde – Made in India, villa de la Région, Saint-Denis, La Réunion, 2013.

Le chant de l’eau

Un jour plein tout entier sombre aux cils de la plaine,
Et la rizière est nue sous les sabots du bœuf.
Tout autour de sa tête, en poussière à son souffle,
Un soleil cuivre et sang émiette ses cristaux.

Un oiseau, clair-obscur, sous des mèches de brume,
Tourne-danse à folie et tombe dans la mer.
On le croirait perdu si, du bout d’une plume,
Il ne griffait le ciel pour s’y suspendre encore.

Un vieil arbre pensif lui a tendu ses bras,
Mais leur ombre a glissé dans les herbes du riz.
Elle tisse en leurs cheveux des sentiers d’eau de terre,
Le temps, pour tout ici, d’aller au bras du soir.

Là-bas, un frisson vif fait croustiller la peau
Du canal qu’on croyait alangui tout à l’heure.
Un canot y titube, on l’entend s’essouffler.
Il nous revient charnu de femmes têtes nues.

Je devine leurs yeux, le dessin de leurs lèvres,
Un peu d’eau par la brise y a serti du sel.
L’une d’elles, harassée, cueille ces diamants là
Pour habiller sa bouche et mentir à sa soif.

Elle a franchi la grève en brulis sous ses pieds,
Et ses hanches en chaloupe ont tiré son sari.
Là, le ventre affolé, la main vive et gracile,
Elle fiche en sa natte le rubis d’une fleur.

Revenant lentement, nuque offerte au couchant,
Elle s’avance vers moi comme on jette ses sens,
Des étoiles nacrées sarabandent ses yeux.
Tout s’arrête, soudain, même le cœur du bruit.

L’ombre sans ma passante a caressé ma main,
Elle se met à glisser, ne touchant plus le sol,
Elle ne laisse qu’un peu de son souffle à ma joue.
Je la suivrai partout, je la suivrai, c’est tout.

Puis, elle tourne la tête et me regarde enfin :
« Je n’étais qu’une enfant, feuille envolée d’hier,
Flottant au gré des ans. Et me voici perdue,
Femme arrachée au jour en pâture à la nuit.

Jamais mes longs cheveux n’ont su défaire leur tresse
Et glisser sous les doigts du désir d’un amant,
Sous le respect d’un père ou l’affection d’un fils.
Non, mes cheveux si noirs n’ont appris qu’à blanchir !

C’est que le ciel, ici, se porte à dos de femmes.
Et chaque jour ainsi, pliée, tordue, brisée,
Ma peau, soyeuse avant, a fini par se fendre.
Que suis-je d’autre, enfin, qu’un azur qui s’éteint ?

Pourrais-je un jour fleurir au soleil d’autres pluies
Et n’avoir plus de joug, flanqué là, à mon cœur ?
Quand pourrai-je ignorer la morsure des coups,
À mes seins, à mes lèvres, à mon souffle… à mon âme ?

Que la mer écorchée, par le soc de mes bras,
Ouvre des sillons clairs d’aubes tièdes à nos jours.
Je reviens, me voilà, un tambour à la main,
Que sonnent les lumières du réveil de mon temple !

Je suis le bruit d’amour, un murmure à vos yeux.
Et de ma source assise au perron de vos rêves,
Je coule ainsi toujours. Je suis une prière,
Une offrande, un partage,
Je suis le chant de l’eau !

Je suis le chant de l’eau ! »

Bernard Payet