Mounir Allaoui

MÀJ. 22.11.2023

Achikochi

Achikochi, 2010
Vidéo, 34 min 43 s.
Musique Richard Georges

Extrait partie 1
Extrait partie 2

« Marches et rencontres dans Tokyo.

Première partie
Errance dans le quartier des plaisirs de Tokyo (Kabukicho), avec une cinéphile fréquentant le milieu de la prostitution, Mariya, et son ami acteur d’AV (adult video), Taito Tsukino.

Deuxième partie
Pèlerinage cinéphilique avec Miyuki Kobayashi, visites de cinémas diffusant des films érotiques (roman gekijo, cineroman ikebukuro), et prières devant les tombes de deux grands réalisateurs, Tomu Uchida et Yasujirō Ozu. »

Mounir Allaoui


Caroline de Fondaumière, extrait du catalogue de l’exposition Première expo et après, Artothèque, 2018.

« Achikochi, 2010 (“ par-ci par-là ”), est une balade dans le quartier des plaisirs de Tokyo en compagnie de Mariya, une jeune cinéphile qui observe les allers-venues de la rue. Elle apparaît de dos en plan rapproché et au-delà de sa chevelure s’agite la vie nocturne. Ces parallèles dessinés entre le premier et le second plan qui débutent la séquence nous introduisent d’emblée dans l’univers cinématographique de l’auteur et deviendront récurrents. La coexistence harmonieuse de deux mondes, celui très proche et calme de l’amie et l’autre éloigné et agité sont deux forces opposées qui s’impriment sur l’image, le vide et le plein de la peinture chinoise. Sur le quai de la gare également, deux plans coexistent, celui de la jeune femme qui attend immobile et le train qui arrive et inscrit un mouvement sinueux dans l’image fixe. Ce procédé se retrouve au bar, lorsque la caméra filme la main de la jeune femme avant de se poser à côté, très proche de la coupe qui devient un monument de stabilité et de paix aux côtés des mouvements aléatoires de la main qui balaie l’espace au rythme de la conversation. Un microcosme se forme à l’intérieur de cette cohue nocturne. Cette porcelaine a capturé le regard du filmeur par sa plénitude, son élégance, ses proportions harmonieuses, sa lisse glaçure vitrifiée qui capte la lumière, un moment de calme et de sérénité s’infiltre ici qui procède de cet apaisement insufflé par le bouddhisme Zen toujours présent chez Ozu et auquel le plan ” tatami ” est emprunté.

Le cinéma nous a apporté des œuvres qui exploitent le vertige et le trouble de la mise en abyme : F. Truffaut incarne son propre rôle dans La nuit américaine et les rêves s’enchâssent les uns dans les autres dans Inception de C. Nolan.
Chez Mounir Allaoui c’est l’objet filmé, la jeune cinéphile qui se retourne et filme à son tour le preneur d’images d’elle-même. Cet effet miroir offre une perspective continue, artistiquement imbriquée, cette autoréflexion mène à la confusion et l’on revient ici, d’une façon différente, au procédé qui consiste à mettre dans le premier, un second plan dans l’abyme.

La deuxième partie du film esquisse une sorte de pèlerinage cinéphile qui pourrait s’apparenter au documentaire tant les références au cinéma japonais sont nombreuses. Le cinéma d’après-guerre qui a popularisé un genre à part entière, le Pinku Eiga, le film rose, érotique, qui deviendra dans les années 70 le ” Roman porno “, la romance érotique en quelque sorte, lancé par la société Nikkatsu et qui compte à son actif plus de 600 films en 20 ans. Puis vient le cinéma historique, intimiste qui reçoit l’hommage de l’auteur dans cette visite à la tombe de Tomu Uchida (1898-1970).

Moins connu que ses contemporains Kurosawa ou Ozu, il a Laissé une œuvre d’une soixantaine de films dont le style d’après-guerre témoigne d’un grand réalisme mâtiné de mélancolie et, bien sûr, celle de Yasujirō Ozu cinéaste marqué par le bouddhisme, inhumé dans le temple Engaku à Kita-Kamakura aux environs de Tokyo. Sur sa pierre tombale est gravé le Kanji Mu qui se rattache à la philosophie Zen et signifie Vacuité, un mystère difficilement traduisible1 .
Bien éloigné du “ néant ”, l’explication la plus proche serait qu’il ne peut y avoir de séparation valable entre l’absolu et le relatif, entre le “ créateur ” et le “ créé ”.

Et justement…
C’est le regard subjectif, l’implication personnelle, la présence subtile du filmeur qui en fait une œuvre d’art délicate, c’est en quelque sorte un film miroir qui nous informe autant sur le cinéma que sur l’artiste, ses regards, ses sentiments, ses méthodes, sa culture, sa poésie, ses rêveries, sa “ mythologie personnelle ”. »

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  1. Le sûtra du cœur attribué à Xuanzang dit : “ Tout ce qui est forme matérielle, cela est vacuité, et tout ce qui est vacuité, cela est forme matérielle ”