La Borie, jardin de sons et de lumières
Notes de travail
« I. Mes cinq premiers jours dans le domaine La Borie-en-limousin m’ont fait écrire ceci :
“ Il est bien certain que les trois principaux personnages sont Moi, le Japon, et l’effet que ce pays me produit. ”
Cette phrase de Pierre Loti est à appliquer à mon projet/séjour à La Borie.
Choix d’un ton proche du journal intime. Images, propos recueillis sur la vie à La Borie au moment où j’y suis. Ce qui ressortira normalement c’est le projet en cours : la mise en chantier du “ jardin de sons et lumières. ”
Mais cette rencontre avec le projet qui canalise le plus l’énergie du site doit faire émerger, “ naturellement ”, une histoire sous forme audio/visuelle. La vie, et le sens qui la gère à La Borie doit sembler apparaître sans mise en place scénaristique trop visible. C’est le rythme de vie, le lieu où se place ma subjectivité, mon point de vue, qui doit diriger le sens et l’image, il ne s’agit donc pas de créer un rythme préprogrammé par un canevas, un scénario. Le système de l’interview pour faire poser les thèmes du projet, par exemple, est donc à éviter.
La vidéo aura sans doute une structure déterminée par une forme proche du journal, de notes de séjour.
Mais qu’est ce qu’on entend et voit dans ce chantier ?
- Planification orale des maîtres d’œuvre du projet (1er exemple, discussion de la paysagiste à table, le 31/08/2011. Cette discussion est à polir, rendre plus lisible, en soustrayant les informations qui semblent inutiles, où évoquent des éléments de la vie privée.(Discussion entre les jardiniers dans le château)
- Chantier en cours, machines, ouvriers / cacophonie.
- Visite du jardin après la conférence du 30/08/2011, la centaine d’invités parcoure le paysage, le coupe et le redessine par les lignes que forme leur nombre en mouvement dans l’espace du jardin.
- Plan historique, le château, ce qu’il représente de son époque (filmer l’intérieur du château), la politique culturelle de l’association qui occupe, fait vivre le château. Cette politique culturelle est lisible bien entendu dans le chantier, mais aussi par la musique qu’enregistre le label “ La Borie ”, la vidéo devra être baignée de cet univers classique/baroque… Et ce, par une rigueur formelle des plans, notamment.
II. Mes deux premières semaines à La Borie m’ont fait continuer ainsi :
Je saisis les plans et les informations de manière éparse, cet éparpillement sera sans doute lisible dans le premier montage test que j’ai commencé le Vendredi 9. Une grande majorité des plans ont été tourné à l’intérieur du domaine.
Il n y a pas de personnage qui puisse permettre une identification du spectateur pour le moment. Ce qui domine c’est la caméra comme regard subjectif du filmeur.
L’envie, lors du montage d’une première version du film, me prend d’intégrer une voix off. Un exercice auquel je me suis rarement pris lors de mes productions précédentes.
Je décide donc d’intégrer quelques haïkus du moine Ryokan.
L’influence de la culture du paysage au Japon semble évidemment influencer les choix des concepteurs du jardin. Il m’a suffit d’écouter Louis Dandrel, l’un des concepteurs du jardin, parler de ce pays, de ses jardins, aux effets esthétiques minimalistes, pour m’en convaincre. La goutte d’eau qui tombe et rythme l’univers sonore d’un jardin de Kyoto par exemple…
Cet attention à l’espace microcosmique du jardin, ici en chantier, je tente aussi de le restituer dans ma vidéo. Des changements d’échelle, notamment du passage du monde d’un insecte sur une plante aux machines bruyantes du chantier. Plusieurs niveaux de réalité se superposent, la parole conceptuelle des créateurs du projet de jardin, l’errance de mon œil dans l’espace de La Borie.
Mais entre mes premières intentions et l’état actuel du montage, un fossé se creuse. Les paroles donnant à voir clairement le projet de jardin passent au second plan, laissant place à la musique jazz, classique et aux sons du jardin.
Ces paroles étant saisies “ au vol ” lors de contextes, de réunions spécifiques, ne permettent que de donner une idée floue de leurs liens avec l’espace que je filme et restitue au montage. D’ailleurs elles sont souvent montées en voix-off sur des images n’ayant pas de lien direct, technique, avec elles. Bien qu’il s’agisse bien de jardin dont il est question en mots et à l’image.
Les “ personnages parlants ” apparaissent sans être caractérisés, on ne connaît rien de leurs fonctions et ils ne sont pas filmés de face, de manière à faire comprendre que lorsqu’ils apparaissent dans le cadre c’est beaucoup plus leur présence physique que leurs mots au moment où ils les disent qui intéressent à l’image. La fonction d’un personnage n’est lisible que lorsqu’il agit dans le cadre, soit comme ouvrier ou comme jardinier.
Ainsi la partie historique, “ château ”, du projet tel que je l’avais formulé à mon arrivée à La Borie, est inexistante dans ce montage. L’essentiel du travail se concentre sur le jardin.
Un jardin qui sans le titre de la vidéo, serait difficile à identifier. On ne le voit jamais dans sa globalité, ni dans sa spécificité. À l’image seuls les travaux en cours lui donne une spécificité, un contexte particulier, “ temporel ”. Les paroles de ses concepteurs tout en donnant des indices sur une possible spécificité, sont trop floues telles que je les fait apparaître, entendre dans l’image, pour qu’on puisse donner un contexte historique, social, clair à cet espace. Ce choix « esthétique » permet peut-être de faire gagner à l’espace que je restitue une forme d’intemporalité. »
Mounir Allaoui
Création réalisée dans le cadre des résidences de La Borie en Limousin
Programme Artistes d’outre-mer, ACCR, avec le soutien du Commissariat pour 2011, année des outre-mer.