Stéphanie Hoareau

MÀJ. 05.11.2021

Porcelaines

DESSINS DE FAMILLE, paysages mémoriels

Quine !, 2018
Dessin à l’oxyde sur porcelaine, 46 x 34 cm.
Collection privée
À la pêche, 2018
36 x 27 cm.
Collection privée
Le départ, 2018
38 x 31 cm.
Devant le décor, 2018
26 x 18 cm.
L’anniversaire, 2018
43 x 27 cm.
Collection FRAC Réunion
Les mamies, 2018
32 x 22,5 cm.
Collection privée
Les rieurs, 2018
54 x 35 cm.
Collection FRAC Réunion
Les tricoteuses, 2018
52 x 35 cm.
Collection FRAC Réunion
Pas de danse, 2018
34 x 23 cm.
Repas de famille, 2018
Dessin à l’oxyde sur porcelaine et soudure à l’or, 38 x 28 cm.
Collection privée
Été 83, 2020
36 x 27 cm.
Gâteaux d’anniversaire, 2020
36 x 28,5 cm.
Le chagrin, 2020
35,5 x 36,5 cm.

Vue de l’exposition individuelle À bien y regarder…, commissariat Cathy Cancade, FRAC Réunion, Piton Saint-Leu, La Réunion, 2018.

« Réactiver la mémoire pour évoquer les souvenirs et se confronter à sa propre image d’enfant, c’est un des enjeux qu’aborde la plasticienne dans ses derniers travaux. À partir d’un corpus de photos de famille, l’artiste REconstruit des scènes de la vie quotidienne ; repas du soir, pique-nique et partie de pêche. Les personnages semblent les mêmes, mais à bien y regarder… on découvre que chacun est enfermé dans son petit bout de vie ; des regards distanciés qui ne se croisent jamais soulèvent le paradoxe du vivre ensemble et des complexités de la relation. La frontière est mince entre la réalité des images et la fragilité du souvenir. »

Texte d’exposition, Cathy Cancade, octobre 2018.

Vue de l’exposition collective I am what I am, commissariat Julie Crenn, ici.gallery, Paris, 2018.

« Pourquoi abandonner le dessin à quelques nostalgiques qui en prônent un usage normatif et rêvent de retour au “beau métier” ? demande Conte1 et il poursuit : “Ne soyons pas frileux, prenons le dessin à bras-le-corps, sans complexe, et dessinons avec ce que bon nous chante.” C’est bien ce que propose Stéphanie Hoareau dans cette nouvelle série. En effet, après de très grands formats peints, des paysages ou des portraits d’inconnus, l’artiste se tourne vers le dessin sur de fines plaques de porcelaine, dans une série de scènes de genre mémorielles. Il était déjà question de mémoire, de racines, pour la grande forêt titrée Bélouve, ici elle tente de restituer des fragments de souvenirs en partant de photographies de famille associées à la perception qu’il lui reste de ces moments de son enfance.

Ainsi, la recomposition de la scène vise à restituer le sentiment réactivé en elle du moment vécu dont la photographie témoigne sans l’exprimer. Réinterprétation, recomposition de l’image, de la mémoire aussi, quelques anachronismes parfois. Stéphanie Hoareau se réinvente une mémoire, “plus proche de ses sensations de l’époque” dit-elle, comme si la photographie échouait à restituer le réel, comme si elle refaisait le chemin à l’envers, tant celui de son histoire personnelle que celui de sa pratique, pour revenir à l’œuvre authentique à partir de la photographie. Le trajet inverse de celui décrit par Walter Benjamin : “Dans le cas de la photographie, par exemple, elle peut faire ressortir des aspect de l’original qui échappent à l’œil et ne sont saisissables que par un objectif librement déplaçable pour obtenir différents angles de vue2 .” Ici c’est le dessin qui tente ce déplacement pour retrouver “le hic et nunc de l’œuvre d’art – l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve3 .”

Les titres sont légers et innocents comme l’enfance : Repas de famille ou À la pêche, mais le ton oscille entre légèreté et gravité, car le dessin recrée des situations ambiguës à partir de ces photos-souvenirs, un moment heureux ou malheureux, des atmosphères familiales où la situation peut être tendue, le malaise d’une sensation parfois. Mais il faut éviter le pathos, pointer le jeu des regards, souligner cet homme aux yeux perdus dans le vague, la présence de l’alcool, une jeune mère enamourée, il faut retrouver dans chaque image l’histoire d’une famille et la mettre à distance, réinventer des scènes montrant la complexité des relations familiales, parler de la cruauté de l’enfance, des tensions aussi. Mais les corps semblent flotter et les rapports d’échelle paraissent parfois étranges en l’absence des décors ; restent les regards, les postures des corps mis en avant au détriment de la narration elle-même. On pense à la série de Massinissa Selmani : A-t-on besoin des ombres pour se souvenir ? L’artiste affirme : “Ce qui m’intéresse dans le dessin, c’est qu’il donne une certaine autonomie. (…) Il y a une dimension documentaire dans le dessin.”

Le support nous questionne aussi, pourquoi la porcelaine ? Pour sa rigidité, sa fragilité, le rapport entre finesse et dureté, son caractère précieux et éternel. L’image de la porcelaine renvoie aux arts de la table, aux métiers d’art, aux intérieurs luxueux. Le contraste est saisissant entre support et matériau, le crayon fragile qui s’efface à la cuisson ne laissant apparaître que des ombres. Le passage au four produit en effet des altérations, des effacements non contrôlés, comme la mémoire elle-même, le souvenir en bribes, comme les relations humaines aussi où quelque chose échappe.
Dans cette mise en scène de la mémoire, cette réinterprétation du souvenir, la dialectique de l’ombre et de la lumière prend une forme légère et fragile dans ce dialogue du dessin et de la porcelaine, entre les éclats de mémoire et la photographie jaunie, où l’artiste pose une question existentielle… Le salut, sans doute, se trouve dans l’effacement, dans l’oubli, échec de la mémoire. »

Isabelle Poussier, 2018.

  1. CONTE Richard (dir.), 2009, Le Dessin hors papier, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. “Arts et monde contemporain”, p. 11.
  2. BENJAMIN Walter, 2003 (1939), L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Éditions Allia, p. 15.
  3. Idem, p. 13.