Déployer ses ailes au-delà du ciel
« Cette installation propose aux visiteurs d’expérimenter des territoires invisibles mais perceptibles à l’écoute, en matérialisant un espace subtil qui nous invite à cohabiter. Ces territoires sonores sont des espaces tissés par le chant des oiseaux. Déployer ses ailes au-delà du ciel est une réponse plastique à Habiter en oiseau de la philosophe Vinciane Despret, qui questionne la notion de territoire et celle de son appropriation du point de vue des animaux. Elle aborde la relation riche et “complexe” que les animaux, et en particulier les oiseaux, entretiennent avec l’espace qu’ils habitent. Je comprends que les animaux ne perçoivent pas le territoire comme leur propriété privée, mais comme le prolongement d’eux-mêmes. Cette relation inclusive au territoire façonne mon désir de cohabiter avec le monde. Ce lien invisible mais audible, qui unit l’oiseau à son espace de vie, est inspirant pour nous qui habitons le monde visible et tangible. J’aime l’idée qu’en parcourant le jardin de la maison du FRAC Réunion, nous pourrions traverser ces territoires et devenir ainsi une part des oiseaux qui l’habitent. »
Tatiana Patchama
« L’œuvre de Tatiana Patchama est un immense jardin où faune et flore s’entrelacent, se mélangent et finissent par se confondre. Son approche philosophique et scientifique de la nature conduit l’artiste à porter une attention particulière à l’organisation de la vie au-delà du monde humain et sur la manière dont les animaux et les végétaux interagissent avec leur environnement. C’est à partir du prisme de l’oiseau que cette jeune créatrice situe son regard. En s’inspirant du travail de recherche de la philosophe Vinciane Despret pour qui l’habiter métamorphose l’agencement de l’être et de l’espace1 , et empruntant l’idée que le territoire n’est pas une question spatiale mais bien un « espace intensément vécu »2 , Tatiana redéfinit avec beaucoup de subtilité et de finesse ce que peut être le territoire dans l’expression de sa dimension sensible et poétique. Dans un jeu de contrepoints et de points de vue, entre ce qui est visible et ce qui est invisible, l’artiste nous invite à déployer nos ailes au-delà du ciel et à entrer en territoire oiseau. Par son geste créatif, Tatiana Patchama reformule le statut de l’oiseau qu’elle envisage non pas comme objet mais comme sujet doué d’intelligence et d’un langage propre3 , soulignant au passage que la nature n’a pas fini de nous surprendre par sa beauté, sa diversité et qu’elle a encore beaucoup de secrets à nous révéler. »
« S’il y a des territoires qui tiennent à être chantés ou, plus précisément, qui ne tiennent qu’à être chantés, s’il y a des territoires qui tiennent à être marqués de la puissance des simulacres de présence, des territoires qui deviennent corps et des corps qui s’étendent en lieux de vie, s’il y a des lieux de vie qui deviennent chants ou des chants qui créent une place, s’il y a des puissances du son et des puissances d’odeurs, il y a sans nul doute quantité d’autres modes d’être de l’habiter qui multiplient les mondes4 . »
Cathy Cancade, commissaire de l’exposition collective L’art d’habiter comme on fait son nid, FRAC Réunion hors les murs, BU Droit-Lettres, campus du Moufia, Saint-Denis, La Réunion, 2023.
- Vinciane Despret, Habiter en oiseau, essai Babel, ed. Actes Sud, 2019, p.124 ↩
- Jakob Von Uexküll, Mondes Animaux et monde humain, 1956, 1965. ↩
- Aliocha Imhoff - Kantuta Quiros, Qui parle ? (pour les non-humains), collection perspectives critiques, ed. Presses universitaires de France, Paris, 2022, p. 43, en référence à Eva Meijer, When Animals Speak : Toward an Interspecies Democracy, ed. New York University Press, 2019 ↩
- Vinciane Despret, Habiter en oiseau, Essai Babel, ed. Actes Sud, 2019 ↩