Jack Beng-Thi

MÀJ. 01.04.2025

Animalia, 2018

Animalia, 2018
Installation, bambou, bois, acier, tissu, papier, plumes, hauteur 700 cm, diamètre 300 cm.
Photographies © Sébastien Fraysse


Voir aussi la performance La muerte del parajo


« (…) Nilo PalenzuelaLe CAAM va réunir une partie de votre œuvre postérieure à Cartographies de la mémoire. Toujours pour le CAAM, vous allez réaliser une construction particulière qui, pour la première fois, n’est pas construite à l’air libre, près d’un village, près d’une forêt ou de la mer.

Jack Beng-Thi : Avec la demeure du CAAM, il s’agit d’établir une connexion avec le monde des animaux, de la nature. J’ai toujours essayé d’entrer dans le monde animal pour mieux comprendre leur corps, leur esprit. Il existe une rupture terrible entre les deux mondes pour le pouvoir et la dénomination de l’homme qui tue toujours et encore. Je veux faire la « demeure de l’oiseau » avec du bambou, des bois, des plumes, des cris d’oiseau. Dans cette intervention, il y aura deux territoires et deux temps différents. La première pièce se présente comme un instrument à vent, tel une trompette ou une flûte de charmeur de serpent. C’est une pièce en bambou appuyée sur le sol, avec une extrémité de forme conique. De l’intérieur, comme une chambre de résonnance, surgit le chant des oiseaux, dans son harmonie, dans sa sérénité. En avançant le long de cette pièce, on pénètre dans un autre territoire, dans une autre demeure, qui est le corps, l’animal, l’oiseau construit en tiges de bambou. Sur les ailes, le corps grandit, et la tête de l’oiseau se dresse vers le haut, à sept mètres du sol ; c’est la direction axiale du firmament. À l’intérieur, un poteau central et la reproduction du vacarme des différents oiseaux, qui montre l’autre côté de l’harmonie, le chaos, l’inquiétude. Sans aucun doute, l’équilibre entre l’homme et la nature ne semble pouvoir être rétabli. La rupture paraît définitive. Peut-être l’issue pour moi serait de me transformer en oiseau. L’équilibre m’a toujours inspiré. J’ai aimé marcher le long des précipices, sur les falaises, dépasser le déséquilibre et le désordre. Cette demeure montre les deux côtés, la sérénité et le chaos. L’oiseau peut se comporter comme les totems des cultures amérindiennes, de la Colombie britannique, ou comme les sculptures et maisons des cultures océaniques. Mais ici, je parle aussi de mon présent, je dénonce la tragédie et, en même temps, je parle de mon territoire et de mon corps entre divers pays et cultures, je parle de mes racines indo-océaniques. »

Extrait d’un entretien mené par Nilo Palenzuela en 2019
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« Jack Beng-Thi figure un monde prenant conscience de soi dans et par l’homme. Autour d’un pilier central, l’artiste a construit un édifice, faisceau de longs bambous - des barreaux pour limiter ? Séparer ? Abriter ? Enfermer ? Matière qu’il a lissée en se brûlant les doigts. Par la sensation, la souffrance, le plaisir, l’effort physique, il incorpore son projet dans la réalité.
Jack Beng-Thi évoque l’oiseau : le haut cône, corps de l’animal, ses ailes repliées, le volume au-dessus, son jabot, et la tête sculptée qui surmonte : c’est la forme archétypale qui identifie les animaux, dont l’homme. Il s’agit de voir ce qui est commun à la nature et à l’art dans les formes, les comportements, et ce qui établit leurs relations.
Ainsi, la construction est un cône sommé par un bulbe - de vulva, vulve -, toit galbé venu de l’Inde. Comme le Taj Mahal de l’Uttar Pradesh, mausolée qui évoque la mort immense et impérissable, reçoit un canal rectiligne, la hutte de Jack Beng-Thi embouche un tube cerclé de quelques anneaux jaunes.

Par cette conduite oblique lente sur le sol, la matrice reçoit le monde fécond et engendrera une idée du monde, une culture. Or, à La Réunion, ce conduit est une vouve - le mot viendrait du malgache vovo, trou, nasse, pour capturer les bichiques, ces alevins délicieux grouillant dans l’océan fertile.
Cette circulation à deux sens caractérise un mode d’attraction : capture de la vie, façon de la donner, de tuer, ruptures, tortures effroyables, entrelacements des existences. “ Une des manières de faire des mondes ” (Nelson Goodman). (…) »

Edward Roux
Extrait de Le chien Nomba, 2020
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