Mémoires de pierres noires, 2000

« (…) pour revenir aux espaces de Charleroi, vous réalisez deux œuvres complémentaires. La première s’appelle Mémoire des pierres noires et la seconde Territoire 1035. La première présente un ordre géométrique, d’un millier de pierres très petites. Je présume qu’il ne s’agit pas seulement d’une question d’esthétique.
JBT : Les petites pièces extraites de l’intérieur de la mine Marcinelle évoquent ceux qui y ont travaillé et y sont morts, et elles sont placées à côté du charbon, à côté aussi d’une pièce de bambou vide. Comme demeure de l’âme, je crée un espace de vie partagé. Les petites pierres sont aussi là pour se rappeler, comme pour écrire. Savez-vous que dans plusieurs endroits, on écrit avec de petits galets ?
NP : Oui, j’ai toujours admiré l’écriture sur le sable. J’ai lu des études sur cette pratique en Angola ; les dessins des Navajos sont aussi extraordinaires.
JBT : C’est une forme d’art, la main, la pierre, l’écriture ou le dessin, le sable qui change immédiatement et tout s’efface. Moi, j’ai vu ça au Soudan, en Namibie, dans le désert du Kalahari en Afrique du Sud ; les Aborigènes en Australie ont aussi des pratiques similaires. Les pierres peuvent servir à écrire mais, surtout, elles sont extraites pour le grand commerce prédateur de la terre. En dehors du Pérou et de la Belgique, j’ai constaté cela dans les mines de Chine et de Soweto. Ça m’a intéressé d’aller là-bas pour me rendre compte de la relation dramatique entre le corps et la terre. Moi, je dois écouter les marques laissées par les pics et les perforatrices sur les parois, percevoir cet espace de vie d’une mémoire qui ne se perd pas, qui est conservée comme j’ai pu le vérifier en Belgique par les jeunes et les anciens de Charleroi. Je suis aussi frappé par la façon dont l’homme a réalisé des sculptures dans le « ventre » de la terre, creuser, creuser, modeler, modeler. C’est fou. (…)
Jack Beng-Thi
Extrait d’un entretien mené par Nilo Palenzuela en 2019
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